Voici presque 20 ans, le mardi 16 octobre 1984 vers 17h, un enfant de quatre ans, Grégory Villemin, disparaissait de Lépanges-sur-Vologne, petit village des Vosges. A 21h15, le corps était repêché dans la rivière torrentueuse à Docelles, à six kilomètres de là. Son assassin l'avait jeté vivant pieds et mains liés.
Malgré plusieurs enquêtes d'une dizaine d'années, un lourd mystère entoure toujours cette mort.
Un cousin de ses parents, Bernard Laroche, 29 ans, sera inculpé puis remis en liberté trois mois plus tard, avant d'être abattu peu après par Jean-Marie Villemin, le père de la petite victime.
Le 5 juillet 1985, Christine, la mère de l'enfant qui allait avoir 25 ans, sera suspectée à son tour, avant d'obtenir un non-lieu le 3 février 1993.
Jean-Marie Villemin sera condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis par la cour d'assises de la Côte d'Or au mois de décembre suivant pour l'assassinat de Bernard Laroche.
Ce fait divers hors du commun prend naissance insidieusement au cour de l'été 1981, alors qu'un «corbeau» fait son apparition. C'est à cette époque que Christine et Jean-Marie Villemin, un jeune couple d'ouvriers, prennent possession de leur chalet tout neuf construit sur les hauteurs de Lépanges, à l'orée d'un bois.
Au fil des mois, une voix rauque et essoufflée assaille d'appels téléphoniques la famille Villemin, avec une prédilection pour Albert et Monique, les grands-parents paternels, et Jean-Marie. Les accidents, la mort, les histoires de famille sont des thèmes récurrents des appels anonymes. Une voix de femme normale, non identifiée, dérange aussi des personnes qui ne la reconnaissent pas.
En novembre 1982, la voix déguisée appelle Jean-Marie sur son lieu de travail. Elle menace de violer sa femme: «t'as pas peur de la laisser toute seule?», puis de s'en prendre à son fils, qu'il retrouvera «en bas». Cet épisode a toujours profondément marqué le père de Grégory. L'angoisse grandit. Les grands-parents portent plainte.
Les gendarmes leur conseillent d'enregistrer les appels. Le »corbeau» se met alors à écrire. Un mot, «Je vous ferai la peau à la famille Villemain (sic)», est déposé sous un volet du chalet de Lépanges le 3 mars 1983. Deux lettres vengeresses et menaçantes sont expédiées à Albert et Monique en avril et mai 1983. C'est ensuite le silence jusqu'au jour du drame.
Michel, l'un des frères de Jean-Marie, reçoit vers 17h32 un appel du «corbeau»: «je me suis vengé, j'ai pris le fils du chef». En fait, cette revendication avait pour destinataires premiers Monique et Albert.
Le lendemain 17, une ultime lettre anonyme parvient au seul Jean-Marie: «J'espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n'est pas ton argent qui pourras (sic) te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con».
Ce crime emplit d'horreur la France entière. Un cousin, Bernard Laroche, est le troisième dans la liste des suspects des proches du couple. En effet, au gendarme qui demande à Christine Villemin si quelqu'un peut lui en vouloir, la jeune femme explique que Bernard Laroche lui a fait du pied lors d'un mariage, et qu'elle n'avait pas répondu à ses avances.
Trois experts en écriture, dont les travaux seront annulés pour vice de forme, désignent Bernard Laroche comme l'auteur des écrits. Sa toute jeune belle-soeur de 15 ans, Muriel, finit par faire des »aveux»: «Bernard est venu me chercher au collège». L'adolescente se rétractera très vite, accusant les enquêteurs de l'avoir contrainte.
La descente aux enfers de Bernard Laroche commence le 2 novembre avec son incarcération. Mais le trouble est jeté, car quatre ouvrières affirment avoir vu Christine Villemin sur le chemin de la poste de Lépanges, et l'une d'elles l'a même aperçue déposant une lettre avant 17h le 16 octobre. Christine Villemin niera toujours formellement ces accusations.
Le juge d'instruction demande d'autres expertises en écriture. Le 4 février 1985, il remet Bernard Laroche en liberté, lequel reste inculpé, bien que les charges se soient effondrées. Le SRPJ de Nancy est dès lors chargé de l'enquête. Le 25 mars, le collège d'experts en écriture estime que Christine Villemin pourrait être l'auteur des lettres anonymes. Le 29, Jean-Marie finit par abattre Bernard Laroche. Les policiers découvrent dans le chalet des Villemin des cordelettes identiques à celles qui ont enserré Grégory, et pensent que la mère a disposé du temps nécessaire à l'assassinat.
Désignée par deux autres collèges d'experts en écritures, Christine Villemin est inculpée d'assassinat le 5 juillet suivant. Enceinte, elle fait une grève de la faim qui la fait remettre en liberté le 16 juillet suivant. En décembre 1986, elle est renvoyée devant la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle. Ses avocats forment un pourvoi en cassation. Le dossier est renvoyé devant la cour d'appel Dijon, où il est instruit désormais par un président de chambre, Maurice Simon.
Au lieu de rectifier certaines erreurs du dossier, il décide de reprendre tout de zéro. Le magistrat rend l'enquête à la gendarmerie et à l'un des experts en écritures qui avait eu affaire au dossier en octobre 1984. Bernard Laroche, décédé, se retrouve à nouveau dans le collimateur. Un témoin tardif vient en 1990 témoigner que, ce 16 octobre, il avait croisé Bernard Laroche et Muriel.
Finalement, le non-lieu accordé à Christine Villemin stipule »qu'en l'état, il n'y a pas de charges» contre Christine Villemin, alors que le document en dénombrait antérieurement 25. La cour incrimine Bernard Laroche de l'enlèvement, évitant de lui improstituéer la mort de Grégory.
Ce non-lieu précise que l'étude des voix n'a pas donné «de résultats décisifs» (selon les experts d'alors, il s'agit d'une femme ou d'un homme), et que les bandes ont été mal enregistrées et trop manipulées.
En 2001, l'affaire rebondit avec une nouvelle analyse du dernier demi-timbre des lettres anonymes. Aucun ADN n'a pu être extrait, mais cet épisode a néanmoins permis de faire repartir à zéro le délai de prescription de 10 ans. Le dossier ne sera donc définitivement clos qu'en 2011, à moins que d'ici-là un fait nouveau intervienne.
Source : 24heures