Un "privé" au coeur des urgences
Ambulanciers, urgentistes "génériques" du 15
L’image de l’ambulancier chauffeur de taxi en blouse blanche a vécu.
Le métier se professionnalise et les ambulanciers ne veulent pas rester les « génériques des pompiers ». Désormais et grâce à une nouvelle convention tripartite qui devrait bientôt voir le jour, pompiers et SAMU devraient bientôt composer avec leurs nouveaux collègues, les ambulanciers. Un début de privatisation qui fait grincer quelques dents. Secours d’urgence ! Le mot fait parfois peur, mais ne laisse jamais indifférent. La plupart du temps, pompiers et SAMU assurent ce rôle à domicile et sur les accidents. Seulement voilà, les ambulanciers réclament eux aussi un rôle d’urgentiste. La convention tripartite qui devrait être signée dans les mois qui viennent entre le conseil général, les pompiers, le SAMU et les ambulanciers privés pourrait permettre aux ambulanciers selon leur secteur, d’intervenir au même titre que les pompiers et le SAMU. Un privé au c½ur de l’urgence, voilà qui devrait changer la donne au moment de composer le 15.« Il y a actuellement une professionnalisation de notre métier. Nous sommes les leaders départementaux de notre profession » rappelle Pascal Abraham, responsable des ambulances Côte d’Albâtre à Saint-Valery-en-Caux. Véritable porte-drapeau d’une profession qui se cherche encore une légitimité, il sait parfaitement que l’avenir de son métier passe par les urgences et la formation continue.Installée un peu partout dans le département (notamment à Arques et Neufchâtel), la famille Abraham brandit fièrement son rôle de leader incontestable. En visitant les locaux des ambulances Côte d’Albâtre on s’aperçoit rapidement des ambitions de la maison. Ici tout ressemble à une caserne de pompiers. Des tenues européennes, un système informatique ultra moderne et un TSU (Transport sanitaire urgent) doté d’un défibrillateur semi-automatique (DSA), bref, rien n’est laissé au hasard. « Nous avons décidé de mettre l’accent sur la formation continue urgentiste. Selon nous, toutes les urgences sont vitales » explique Pascal Abraham. Et d’ajouter : « Avant, les ambulanciers étaient de garde chacun dans son coin. Puis la loi Aubry a aboli les astreintes et mis en place un nouveau système et une équipe de garde de nuit. Les personnes sont payées 24 heures même si elles n’interviennent pas. A l’inverse les pompiers ne sont pas payés s’ils ne sortent pas ». Pascal Abraham touche du doigt un point sensible et dénonce « une concurrence déloyale due à un ministère de la Santé moins puissant que celui de l’Intérieur ».Un site dédié à l’hôpital de DieppeDepuis deux ans, les ambulanciers se sont organisés. L’Union départementale des ambulances et transports sanitaires d’urgence (UDATSU) a procédé au découpage de la Seine-Maritime en neuf secteurs. Saint-Valery occupe le secteur 3 (Luneray, Bacqueville, Fontane-le-Dun, Yerville, Val-de-Saâne, Doudeville) et Dieppe le 4 (Offranville, Envermeu, Arques, Saint-Nicolas, Longueville). « A Dieppe, les huit ambulanciers vont avoir dans les mois qui viennent un site à la Maison médicale de l’hôpital afin de répondre aux départs immédiats. Le secteur de Dieppe représente 91 000 habitants » explique Pascal Abraham. Des changements dans les habitudes qui doivent permettre de prouver les compétences des ambulanciers. « Une intervention à domicile des pompiers coûte 90 euros, contre 40 pour celle des ambulanciers. Nous sommes les génériques des pompiers en étant deux fois moins chers » assure-t-il.La nouvelle convention qui devrait être mise en place est censée établir un organigramme pour savoir qui fait quoi . Les pompiers devraient ainsi être libérés de certaines interventions à domicile et se consacrer au prompt secours (accident, incendie…). Quant aux ambulanciers, ils pourraient ainsi récupérer les autres urgences. « Il fallait que nous démontrions que nous étions performants. C’est ce que nous sommes en train de faire en tirant nos collègues vers le haut. Aujourd’hui, l’organisation de nuit fonctionne bien. Nous avons toujours une ambulance sur chaque secteur, avec départ immédiat » explique le professionnel valeriquais. Il s’agit désormais de passer à la phase de jour où les pompiers sont encore très souvent appelés. Et même si Dieppe est d’ores et déjà dotée d’une ambulance de jour, d’autres secteurs n’ont pas ce privilège. En revanche, à Saint-Valery depuis un mois, les ambulances Abraham possèdent un nouveau dispositif. Sur le secteur 3, si le SAMU ou le médecin ne trouvent pas d’ambulance, plutôt que de faire appel aux pompiers, ils peuvent faire intervenir l’équipe de garde des ambulanciers du lundi au vendredi de 8 heures à 20 heures. Une équipe qui reste à la disposition du SAMU. « Cela permet de limiter les interventions des pompiers. A terme on veut faire comprendre au service départemental d’incendie et de secours, qu’il a à sa disposition, dans la journée, des ambulanciers » précise Pascal Abraham. Et de conclure : « Nous faisons du service public, de la bobologie et du social, même si nous sommes une entreprise privée ». Mais les ambulanciers attendent désormais une aide du Département pour entrer de plein pied dans un système qui pourrait bien conduire tout droit à la privatisation des urgences.L. H.Les pompiers attendent la conventionPas de médecin à bordL’arrivée programmée des ambulances dans le secteur des urgences ne fait pas l’unanimité. Même si les pompiers reconnaissent volontiers l’intérêt d’un tel système pour les interventions moins graves, ils craignent aussi les dérives. « Au départ, pour les malaises cardiaques à domicile, les ambulanciers se sont bagarrés pour intervenir. Mais on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas toujours les avoir rapidement, surtout le week-end et les jours fériés » se souvient un pompier. Et d’ajouter : « Lorsque les pompiers se déplaçaient, les ambulanciers arrivaient derrière et voulaient reprendre la victime dans le bas des escaliers. Il est même arrivé, qu’ils viennent à deux pour transporter un blessé de 120 kg. ». La future convention devrait permettre de clarifier les choses. « En revanche, lorsqu’il s’agissait d’un SDF, ils n’étaient plus d’accord pour intervenir parce qu’ils ne savaient pas s’ils allaient être payés » précise le pompier. C’est bien là toute la limite du futur dispositif. Un système qui pose d’ailleurs une autre question d’importance. Si les pompiers ont reçu une formation particulière et des stages avec des médecins capitaines, qu’en est-il des ambulanciers ? Toute la profession n’est pas logée à la même enseigne. Et le chemin est encore long, surtout pour les plus petites structures qui vont devoir s’adapter brutalement à la nouvelle donne. « Ils ne sont pas médecins ces gens-là » regrette le pompier qui estime tout de même que la convention peut être une bonne chose : « Pour les pompiers cela augmentera les interventions à domicile sans urgence »