Le charognard nous parle (26/07/2005)
«J'ai détroussé les cadavres pour donnerà manger à mes enfants»
BRUXELLES Il s'appelle Christophe Mortier. Il a 29 ans. C'est un petit costaud avec des biceps à la Popeye. Il travaillait dans une société privée bruxelloise d'ambulances, et donc pas à la Croix-Rouge ni chez les pompiers du Siamu (service 100) qui nous demandent à chaque fois de bien le préciser. Medical Assistance n'en est pas moins connue.
Par marché public, l'entreprise détient le monopole du retrait des personnes décédées sur Bruxelles et Ixelles. Christophe Mortier est un des ambulanciers charognards contre lequel l'avocat Pierre Legros, qui défend Medical Assistance, a décidé de se constituer partie civile.
Nous devons à la vérité de dire que l'ambulancier sorti de prison nous a débecté. Pour autant, Christophe Mortier a le courage de répondre à tout, sans rien éluder. Comme seule excuse, Mortier explique qu'il était mal payé. Il nous le prouve: le montant brut mentionné sur son C 4 est de 7,61 ¤ de l'heure.
Dans le dossier, votre collègue l'ambulancier Mohamed Abdeslam (également inculpé, NdlR) vous accuse d'être le cerveau des détrousseurs.
«Abdesslam avec qui j'ai beaucoup travaillé essaie de me coller un maximum sur le dos. Ma réponse est que j'ai quitté Medical Assistance en décembre 2004. C'est évident que si j'avais été le cerveau, les vols sur les cadavres auraient cessé du jour au lendemain...»
Cessons de parler des autres. Et vous, avez-vous volé des cadavres?
«J'ai travaillé comme ambulancier de juillet 2003 à fin 2004. En un an et demi, j'ai dû véhiculer 500 cadavres. Je ne sais pas comment cela a commencé ni quel a été le premier cadavre dont j'ai fait les poches mais c'est venu parce que je n'étais pas payé comme je l'avais pensé. Je travaillais 7 jours sur 7 en étant appelable 24 h sur 24 tout en étant réellement payé 7 h 36 par jour. Il fallait que je nourrisse ma femme et mes enfants. Je gagnais de l'ordre de 57 euros brut par jour ou de 1.200 à 1.300 euros par mois pour de 290 à 320 heures de prestation. C'était impossible de s'en sortir. Alors, un cadavre, c'était tentant. Ça dérangeait qui?»
Vous voliez de façon régulière?
«J'ai certainement fait de 20 à 30 cadavres. Un cadavre par jour, ça faisait 15 euros en poche. En fin de mois, c'était toujours ça. Ça pouvait être des petites vieilles aussi bien que des jeunes. Ça n'avait aucune importance. L'important, c'était de bien choisir ceux qui n'avaient pas de famille proche. Comme les gens en décomposition, qu'on trouve mort, après des semaines, assis dans leur fauteuil. Il n'y avait eu personne pour s'inquiéter. Une montre au poignet ou un portefeuille qui traîne sur la table, c'est tentant. C'est difficile de résister. Je dirais presque qu'avec ce que vous gagnez, vous ne pouvez pas faire autrement.»
Vous voliez quoi?
«Principalement le liquide. Et tout ce qui pouvait servir comme les GSM, les cartes bancaires, les bracelets, les chaînes, les alliances, les bijoux, les trucs comme cela...»
Et au moins une moto comme dans ce garage, à Etterbeek, qui appartenait à ce monsieur mort d'une chute dans un ascenseur, sous les yeux de son fils...
«Effectivement, une Yamaha. En fait, je n'appartenais déjà plus à Medical Assistance mais un ambulancier qui l'avait repérée cherchait quelqu'un pour la conduire. Je vais vous avouer que ce n'était pas la première. J'avais déjà volé une Kawasaki à un monsieur que j'avais aussi transporté dans l'ambulance. J'avais piqué les clés de la Kawa dans ses poches. Hélas, c'était un vieux modèle, de 1995 je crois. J'ai rien pu faire de cette moto. Elle a fini à la fourrière...»
Il ne faut quand même avoir aucun scrupule ni aucune morale pour voler un cadavre?
«Je vous l'ai dit: j'ai fait ça pour nourrir ma famille. Payé comme j'étais, c'était la seule solution...»
Le patron était au courant?
«Je vais vous répondre ceci. En 2004, il y a eu sept plaintes, pas une de plus, pas une de moins, contre moi... J'étais à chaque fois en cause avec un collègue qui pouvait changer. Quand je suis parti, en décembre, c'est pas parce qu'il me mettait à la porte (pour ces 7 vols, NdlR) mais parce que j'étais en dépression nerveuse...»
En dépression à cause de vos activités de charognard?
«Non, pas du tout à cause de cela. C'était une période difficile. J'avais eu un accident avec une ambulance...»
Vous êtes le seul chez Medical Assistance à avoir volé des cadavres?
«Trois autres sont inculpés. A la police, j'ai prétendu que c'était tout, qu'il n'y en avait pas d'autres. En fait, j'ai menti pour protéger des collègues qui faisaient moins que moi: ils n'avaient qu'un rôle passif. Ils voyaient, ils n'ont jamais rien dit, mais nous partagions...»
Ceux-là seraient combien encore?
«J'en vois trois ou quatre. Moi, je travaillais principalement avec Mohamed Abdesslam, qui cherche maintenant à tout me mettre sur le dos.»
Vous tenez, là, votre bébé dans les bras. Vous avez des remords?
«Je faisais ça pour mes enfants. Pas pour me droguer, pas pour sortir en discothèque...»
Vous avez écoulé ce que vous voliez?
«Ça dépend. Par exemple, il m'arrivait de voler de l'argent dans des enveloppes qu'on trouvait sur la table du salon ou mieux caché. Ça, c'était facile. Les bijoux, je les revendais. J'en obtenais entre 6 euros et 6,5 euros le gramme. Les montres, je les refilais à 15 euros. Les GSM, c'est plus compliqué parce que ça se revend difficilement en occasion. Je les gardais pour récupérer les pièces. C'est facile. Dès que je voyais que j'avais le champ libre, je me servais. Vous savez, quand un type se fait sauter la cervelle qu'il faut ramasser au plafond, vous avez peu de policiers pour traîner dans la pièce. On est vite seul à faire tout le travail. Même chose dans des appartements qui ne sont plus que des essaims de mouches: tout le monde dégage. Alors, c'est facile de se servir. Et ça fait de mal à qui?»
Dites-moi, quel respect aviez-vous encore des défunts?
«Oh, on ne brutalisait pas les cadavres. Les chaînes autour du cou, je les retirais très délicatement. Si l'alliance résistait, je n'arrachais pas le doigt. J'avais quand même du respect...»
Vous êtes ambulancier. Avec quelle formation?
«Aucune. Oui, j'ai passé des tests pour vérifier que je voyais bien de près et de loin. Je n'ai pas de BEPS (brevet premier secours) ni celui de secouriste (massage cardiaque, etc). Si j'avais voulu ces formations, j'aurais dû les suivre à mes frais.»
Dites-moi, et le permis de conduire? Vous avez parlé d'accident.
«Il fallait y aller. J'ai fait des courses pour rendre service, même quand le permis m'avait été retiré comme la fois où l'on m'a pris à 80 (km/h, NdlR) sur la chaussée de Mons et où j'avais brûlé un feu rouge...»
Et la sécurité des patients transportés?
«Il m'est arrivé d'aller chercher des patients à Erasme qui souffraient de cancer et qui étaient transportés dans une ambulance qui venait d'avoir véhiculé une dépouille mais qui n'avait pas été désinfectée. (Christophe Mortier parle d'une compagnie dont nous ne citerons pas le nom)...»
En prison?
«Trois douches en 20 jours. Je n'ai jamais vu mon avocat. Pas trop de bagarre: j'ai vite montré qui j'étais...»
Vous voliez des cartes de banque sans posséder le code secret puisque leurs titulaires étaient décédés?
«C'est pas grave. On essayait quand même. J'essayais avec la date de naissance. Les combinaisons avec les chiffres à l'endroit et les chiffres à l'envers. Mais ça n'a jamais marché...»
Un juge d'instruction, M. Jacques Pignolet, vous a placé sous mandat d'arrêt. En vous disant quoi?
«Il m'a demandé si j'étais fier de moi. Il m'a demandé ce que je dirais plus tard aux enfants. J'ai répondu que j'essayerais de ne pas leur en parler. Si je suis forcé, je dirais que c'était pour eux, qu'il fallait les nourrir. Que je gagnais 7,61 euros de l'heure...»
Gilbert Dupont
© La Dernière Heure 2005