Depuis le retour des vacances de février, je me surprends à aller au boulot en 4×4.
et je file au rythme du chamelier en 4 × 4 : quatre inspirations, un temps mort "apnée" sur une foulée, quatre expirations et re-temps mort. Une technique que je viens de ramener d'une marche afghane.
"Le principe de la marche afghane, dite aussi marche méditative, consiste à caler ses pas sur sa respiration et ensuite à moduler son rythme respiratoire selon la nature du terrain en installant une sorte de sur-oxygénation naturelle", Claire sait plutôt de quoi elle parle.
Claire Philipczyk, Accompagnatrice en montagne et "médiatrice du corps", éclaire de ma lanterne, elle sera notre guide pour cette séance d'initiation d'une demi-journée.
"La marche afghane a été découverte par Edouard Stiegler dans les années 1970-1980 alors qu'il effectuait des missions d'assistance économique en Afghanistan, en observant les Maldars, des nomades qui marchaient beaucoup sans être fatigués", poursuit Claire. Renseignement pris, les Maldars, avec qui je n'ai aucun lien de filiation, pouvaient crapahuter 700 kilomètres d'une seule traite à des altitudes très élevées. Comme mon genou récalcitrant ne me permet pas d'envisager sérieusement de m'attaquer à l'Himalaya ni à Saint-Jacques de Compostelle dans les toutes prochaines semaines, je suis ravi d'entendre de la bouche de Claire que le but de cette initiation est de "nous transmettre un outil" et que les principes de la marche afghane peuvent s'appliquer "dans la vie de tous les jours, même à Paris, pour aller chercher son pain".
"ON NE RESPIRE QUE PAR LE NEZ"En attendant, pour cette première - qui en est visiblement aussi une pour Sylvie, Yvette, Martine, Annette et Corinne, les cinq autres apprenties Maldars du groupe -, Claire a choisi la Rosière, un site époustouflant situé à une altitude raisonnable (1 200 m) et qui offre une vue panoramique sur les sept monts qui entourent Samoëns, à commencer par le mont Blanc et le Criou, la montagne qui se dresse tous les matins en face de ma chambre d'hôtel, le bien nommé Neige & Roc. La neige, ce n'est pas ce qui manque. Alors nous chaussons tous nos raquettes pour attaquer le "premier atelier". Pas le plus compliqué, mais fondamental.
"A partir de maintenant, on ne respire que par le nez", prodigue notre guide. Pas une évidence pour tout le monde. " Pourquoi le nez ? Parce qu'il tempère l'air froid, le filtre, et qu'en yoga, on dit qu'il capte les énergies qui nous environnent." Claire nous demande de ne plus parler, de nous concentrer sur notre respiration pour nous recentrer sur nous-mêmes. Je ferme les yeux et prends une grande bouffée d'air des montagnes par le nez en pensant à ce que nous a dit notre accompagnatrice en nous accueillant : "Nous arrivons tous avec notre stress et après nous serons tous différents mais je ne peux pas vous dire comment."
JE SUIS UN CHÊNE MILLÉNAIRE !
Une fois le premier exercice intégré, nous passons à la deuxième étape :
"Caler la respiration sur nos pas." "Nous allons commencer par un rythme 3 × 3, indique Claire. J'inspire sur trois pas, j'expire sur trois pas." Nous partons en file indienne, tels des sherpas, en nous efforçant d'appliquer cette nouvelle règle de 3. "J'arrive bien à inspirer mais après je n'ai plus d'air à sortir", se plaint une des marcheuses.
"On va attaquer une montée, prévient Claire. On va partir sur du 3 × 3, voire du 4 × 4, et puis rétrograder en 2 × 2, voire en 1 × 1. Et quand c'est vraiment raide, le dernier levier, ce sont les tout petits pas. Le but est de ne pas être essoufflé à l'arrivée." J'attaque bille en tête en 4 x 4 puis rétrograde assez rapidement en 3 × 3. Mais dans la petite butte finale, je perds complètement le fil de ma respiration pour me concentrer exclusivement sur mes raquettes dont je ne maîtrise finalement que très sommairement l'usage. Mais l'objectif initial est pratiquement atteint : je suis à peine essoufflé.
En guise de pause, Claire nous invite à nous rassembler deux par deux, face à face, mains contre mains. Et nous demande de fermer les yeux. "Des racines partent de vos hanches, de vos cuisses, de vos genoux, de vos pieds, de vos orteils et s'enfoncent dans le sol, profondément, très profondément." Je me concentre pour essayer de me transformer en chêne mais j'ai plutôt l'impression d'être un roseau qui ploie d'avant en arrière sous le poids de la fatigue ou du relâchement, je ne sais pas très bien. "Tu n'es pas dans tes pieds, tu n'es pas enraciné." O.K., je redouble de concentration pour être dans mes pieds. Claire pousse de toutes ses forces sur mes mains (enfin, c'est ce qu'elle m'assurera après). Je ne bouge pas, je ne sens rien, je suis un chêne millénaire ! "Cet exercice, vous pouvez le répéter dans des situations de stress, quand vous êtes au bureau et qu'on vous aboie dessus, par exemple", indique notre médiatrice du corps.
LA MARCHE, ÇA BOOSTE
En attendant de mettre ce précepte en application, nous reprenons notre marche afghane avec un nouveau rythme : le 3 × 1. Comprendre : on inspire sur trois pas, on bloque la respiration sur un, on expire sur trois pas, on retient le souffle sur un. "Garder de l'air sur un pas permet de bien suroxygéner nos poumons et nos alvéoles et de mettre le coeur au repos, décrypte Claire. Le 3 × 1 donne un rythme plus tonique." Après un certain temps d'adaptation, je parviens à mettre en place le 3 × 1. Et en effet, ça booste la marche. En revanche, ça m'oblige à me concentrer exclusivement sur mes pieds, aux dépens du paysage. Mais la fin de la séance va me permettre d'en profiter pleinement.
Après une dernière montée, Claire nous invite à nous aligner face à la pente et à fermer les yeux. " Maintenant, retournez-vous et regardez les montagnes qui nous entourent. Puisez dans cette énergie positive, exhorte notre guide. J'ai envie que nous nous donnions tous la main pour capter cette énergie." Dans la minute qui suit, un bruit sourd déchire le silence qui accompagnait notre marche depuis le début. Une avalanche vient de se déclencher dans le Criou. Puissant, la marche afghane.
Stéphane Mandard - En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/sport/article/2012/04/03/ma-premiere-marche-afghane_1677964_3242.html#qcWVhCxD1ohteZYs.99