Auteur Sujet: « Lignes de vies », une immersion dans l’intimité du PGHM de Chamonix  (Lu 2084 fois)

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Dans un ouvrage tout en pudeur et en humilité, le chef d’escadron André-Vianney Espinasse rend un véritable hommage aux militaires du Peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix, et plus largement aux secouristes en montagne. Des récits poignants, dans une écriture ciselée, presque poétique, accompagnés d’illustrations à l’encre de Chine, entraînent le lecteur sur les sommets alpins, dans l’intimité humaine et technique des opérations de secours.

Il est des livres qu’on ne parvient pas à poser et qu’on se prend à lire d’une traite ou presque, tournant chaque page avec une fébrilité certaine. « Lignes de vies » est de ceux-là. Sous la plume de l’auteur, officier de gendarmerie de son état, l’intrigue ne vous entraîne pourtant pas dans les rouages d’un polar, mais dans le quotidien tout aussi haletant des sauveteurs en montagne de la gendarmerie.

« Lignes de vies », comme une métaphore entre les chemins de vie de ces militaires, liés par un même engagement, et ce système de cordage reliant toujours les montagnards au rocher.

Sans fard, mais pourtant avec la pudeur chère aux montagnards et beaucoup d’humanité, le chef d’escadron André-Vianney Espinasse entraîne ainsi le lecteur dans l’intimité du Peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix, dont il fait partie depuis 2018.

Il aurait pu raconter les nombreuses interventions auxquelles il a participé depuis, en tant que témoin direct ou indirect. Mais c’est un autre choix qui s’est imposé à lui, celui de mettre en lumière l’action des militaires du PGHM à travers sept récits de secours, à l’issue heureuse mais aussi parfois tragique. Des interventions marquantes, pour certaines anciennes (celle de l'aiguille de Bionnassay remonte à 2007, NDLR), et à travers elles le destin de ces hommes, les secouristes de Cham’, leur engagement pour la vie des autres, leur amour de la montagne, leurs prises de décision parfois difficiles, leurs moments de doute ou d’incertitude, leurs joies et leurs peines aussi. « Je me suis limité à sept récits pour ne pas être redondant. On dit d’ailleurs que 7 est un chiffre idéal, confie l’auteur. J’ai choisi chaque histoire pour un ou deux messages bien particuliers qu’elle relaie, mais le fil rouge, ce sont les valeurs humaines qui cimentent l’unité. Et puis, de façon induite, on apprend comment travaille le PGHM, on entre vraiment dans son cœur, dans l’intimité humaine et technique de notre quotidien. À travers ces récits, on fait le tour complet du PGHM. »

Une première nouvelle comme un exutoire

La première nouvelle, « Vignemale », qui relate un secours du point de vue de la victime, aborde la naissance d’une vocation, « en l’occurrence la mienne ». Car la victime, en ce jour de septembre 2014, c’est André-Vianney Espinasse, alors jeune lieutenant en gendarmerie mobile au sein de l’escadron de Saint-Gaudens, caressant l’espoir, sans trop y croire, d’intégrer un jour une des prestigieuses unités montagne de la gendarmerie. Partis à l’assaut du Vignemale, dans les Pyrénées, lui et un autre camarade gendarme seront secourus par le PGHM de Pierrefitte après une nuit à près de 3 000 mètres d’altitude, dans des conditions de fortune.

Ce premier récit très personnel, qui ouvre aujourd’hui ce recueil de nouvelles (après la préface du LCL de réserve Stéphane Bozon, patron du P.G. de Chamonix d’août 2015 à novembre 2021, NDLR), en est aussi à l’origine : « Cette histoire vécue, je l’ai ruminée pendant pas mal d’années avant de la coucher par écrit, comme un exutoire », confie-t-il. Il ne la partage alors qu’avec des proches, qui l’encouragent à aller plus loin. Ce passionné de littérature et d’écriture décide alors de se lancer dans l’aventure et de partager le quotidien des secouristes en montagne de la gendarmerie dans un livre.

Non sans s’être formé aux techniques d’écriture narrative, André-Vianney va travailler sur son projet pendant près de deux ans, « tôt le matin et pendant quelques soirées aussi ». Il lui faut aussi trouver un éditeur qui adhère à son idée. Ce seront Les étages éditions. Car l’officier souhaite laisser la part belle à l’image. « Deux tiers de récit et un tiers de contemplatif », comme il se plaît à souligner. Mais pas n’importe quelles illustrations. Il cherche un dessinateur qui soit aussi un montagnard, afin de « comprendre notre milieu », et s’associe finalement avec Éric Savoldelli, élève de Jean-Marc Rochette, illustrateur et auteur de bande dessinée (entre autres) de talent. Les pinceaux de l’artiste donneront ainsi « chair et cohérence aux récits », à travers des peintures à l’encre de Chine mêlant réalisme, puissance, pudeur et humilité.

Au cœur des secours

Les récits suivants sont le fruit d’entretiens menés avec les protagonistes des différentes interventions, « qui ont tous adhéré au projet », et de recherches dans les carnets de secours de l’unité. Dans « Requiem pour Bionnassay », « un secours terrible à l’issue dramatique », le lecteur s’accroche ainsi à ce petit fil de vie qui relie Christophe, planton ce jour-là, à deux jeunes femmes en perdition dans la montagne… Le récit fort d’un échange maintenu jusqu’au dernier souffle des victimes.

Dans « Miracle au mont-Blanc », l’issue de l’intervention dans ce lieu hautement symbolique est, comme son titre le laisse présager, plus heureuse. « Elle est de ces interventions où l’on pense rencontrer la mort et c’est la vie que l’on trouve, la vie qui s’accroche. » Ce récit fort, André-Vianney l’a puisé intégralement dans le carnet de secours de l’adjudant-chef Fred, qu’il a juste « un peu retravaillé ».

« Fred faisait partie des héros ce jour-là. Ce miracle n’a été possible que parce qu’une équipe est montée là-haut. Cette nouvelle illustre vraiment la force du collectif », souligne l’officier, avant d’ajouter : « Sans compter les dessins incroyables d’Éric, qui, au départ, s’est inspiré de photos, avant de laisser son imagination et sa créativité faire le reste. »
La nouvelle suivante, « Les grandes Jorasses s’effondrent », relate quant à elle cette journée inoubliable d’août 2019, où un pan de cette montagne mythique pour les alpinistes s’est effondré. « Les conditions du moment étaient excellentes et il y avait beaucoup de monde sur la voie ce matin-là. Il a fallu opérer le sauvetage de deux cordées en simultanée, se souvient André-Vianney, dont le récit met en lumière le lien fort existant entre Mathieu et Ludo, le binôme de sauveteurs, un ancien et un jeune. Comme dans une pièce de théâtre, leurs monologues respectifs, dévoilant leurs pensées et leurs doutes, se répondent dans un dialogue fictif tout au long de ce secours dans un lieu incroyable. L’illustration, comme une planche de B.D., offre tous les points de vue des opérations : ceux du mécano, des secouristes et des victimes : « des scènes qui n’ont jamais été prises en photo et pour lesquelles Éric a dû s’inspirer du récit et de sa connaissance de la montagne. »

Puis, dans « Désert blanc », c’est non sans émotion que l’on vit le dernier jour à l’unité de Maximo, le maître de chien, et ses adieux à son camarade à quatre pattes. « J’ai croisé au P.G. des gens qui sont des monuments, comme Maximo. C’est un modèle d’humilité, un gendarme modèle. Il est d’ailleurs toujours réserviste et reste aussi impliqué qu’au premier jour », souffle le chef d’escadron Espinasse. Si l’histoire, presque d’amour, entre le maître de chien et son animal est le fil rouge de ce récit, les 24 dernières heures de Maximo au PGHM, et plus précisément à la D.Z. des Bois comme premier à marcher, nous font véritablement entrer dans l’intimité du PGHM « et partager des moments que l’on ne montre jamais ».

Derrière l’histoire du P.G. de Cham', celle de Julio

Il était impensable pour André-Vianney, comme pour le reste de l’unité, de réaliser un livre sur le PGHM de Chamonix, sans parler de Julio. Julio, surnom dû à une certaine ressemblance avec un chanteur bien connu, c’est Alain Iglésis, un pilier du P.G. André-Vianney le rencontre chez lui au printemps 2021 pour lui présenter son projet littéraire. Les deux hommes passent la soirée à discuter, notamment de son lien particulier avec l’Aiguille Verte, qu’il a gravie 105 fois. « On dit qu’on devient vraiment alpiniste quand on gravit cette montagne. On devait y aller ensemble, avec Julio, mais la mauvaise météo nous a confinés au coin du feu, remettant l’ascension à plus tard. Nous avons passé la soirée à discuter et cela a donné naissance à un premier récit « Julio, l’amoureux de la verte », sur le thème de la transmission. »

Deux jours plus tard, le mercredi 19 mai 2021, l’Aiguille du Midi rouvrait après le confinement. Des journées que l’on craint beaucoup au P.G. Et à juste titre ce jour-là. « Un jeune s’est tué dans la matinée, puis, quelques minutes plus tard, Alain a été emporté par une avalanche. » Une funeste journée relatée, toujours de façon très pudique, dans « Les Cosmiques », où l’émotion, presque palpable, vous noue l’estomac, tandis que faisant face à ce véritable séisme, les militaires du PGHM continuent de faire leur métier jusqu’au bout, « même quand c’est son ami que l’on va chercher. »

« L’épouse de Julio m’a demandé de finir le projet pour lui. Deux récits lui sont consacrés, mais ce n’est pas trop pour cet homme qui a fait des choses exceptionnelles pour la montagne et pour la gendarmerie. Il compte plus de 1 000 secours. C’était un grand. J’espère que ces deux écrits traduisent bien son chemin de vie. Depuis, je suis allé à l’Aiguille Verte et j’ai bien pensé à lui », confie André-Vianney, avec encore beaucoup d’émotion dans la voix.

Véritable hommage aux personnels du PGHM et à Julio, ces anges gardiens de la montagne, cet ouvrage, ouvrant au grand public les coulisses du PGHM de Chamonix, s’achève sur une galerie de 44 portraits représentant des personnels, passés et présents, du P.G. de Cham’, ainsi qu’un pilote et un mécano, « nos partenaires sur les secours ».

Source : https://www.gendinfo.fr/loisirs/culture/lignes-de-vies-une-immersion-dans-l-intimite-du-pghm-de-chamonix