Auteur Sujet: Cela arrive aussi comme ça !!  (Lu 6174 fois)

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Fabrice

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Cela arrive aussi comme ça !!
« le: 30 juin 2004, 02:39:56 »
"Une chose pareille ne s’invente pas, et les choses qui ne s’inventent pas sont très pratiques pour reconnaître le vrai du faux." Sébastien Japrisot

Je n’ai pas souvent vu Audrey dans cet état, même Brice qui aimait taquiner, ne la mettait pas dans de telles humeurs. Et moi, au lieu de m’écraser, j’ai continué à alimenter  le feu. J’en ai rajouté, je débitais tout ce que j’avais sur le cœur jusqu’à ce qu’elle me gifle.
J’ai encore rigolé en disant que ce n’était pas bien.
Ensuite, elle m’a poussée dans la voiture. En claquant la portière, elle m’a jeté un regard qui m’a glacé et je vous assure qu’après, il n’y avait plus de quoi rire. J’étais complètement défoncée, je ne risquais pas de lui opposer quelque résistance physique. Elle est retournée dans la maison quelques minutes ou peut-être plus longtemps. Je ne sais plus. J’avais un problème avec le temps ce soir-là.
Elle est montée à son tour dans la voiture, a démarré le moteur et nous sommes parties.
Elle ne disait rien, elle a dû penser que je dormais.
Nous arrivions à Cherbourg. Je me suis excusée. Elle m’a répondu que c’était un peu tard. Puis elle s’est emballée en me demandant pourquoi j’avais besoin de foutre mon bordel dans sa soirée. Je l’ai regardée et j’ai vu des larmes sur ses joues. J’ai voulu savoir si elle m’emmenait chez elle ou si nous allions à Sainte-Croix.
           Elle n’a rien dit.
J’ai vu que nous roulions sur la Saline, j’ai compris qu’elle me conduisait chez les parents. J’ai demandé si elle en parlerait à maman. Elle a juste dit que c’était à moi d’annoncer mes conneries et pas dans cent sept ans.
Je crois que j’ai pleuré.
Je peux m’en souvenir comme ma journée d’hier. Si je ferme les yeux, je peux entendre la voix de ma sœur qui disait :
- Pourquoi ?
- Parce que tu vas te marier et que j’ai besoin d’oublier.
- D’oublier quoi ? Je ne comprends pas. Tu as peur qu’on se perde de vue ? Tu sais  bien que rien ne peut nous séparer, même pas tes conneries.
- Moi je sais ce qui nous séparera et si je te le disais, tu m’approuverais.
- Qu’est-ce que c’est que ces salades ?
- Tu veux savoir ? Tu es curieuse ? Tu veux connaître ce que ton cher Brice a fait ? M’a fait, plus exactement ?
- Si tu crois que je vais croire tes ragots...
- Tu ferais bien ! Tu sais, en février dernier, tu étais à Lille. Maman et papa étaient partis voir les cousins et Brice était tout seul chez vous. Un soir, il est venu à Sainte-Croix. Il savait pertinemment que je serais seule. J’étais étonnée de le voir, parce que d’habitude il vient avec toi ou lorsque les parents sont là. Je lui ai dit ma surprise, il m’a répondu que je pouvais l’être davantage si je voulais. Avant que je comprenne la situation, il s’est jeté sur moi, m’a débarrassée de mes vêtements sans grandes précautions et il m’a forcé à faire, enfin tu devines. Au début, je me suis débattue, puis j’ai laissé faire. Je crois qu’il avait un peu bu. Je n’ai rien dit. Je ne voulais pas être responsable d’un scandale dans la famille, et puis j’ai pensé à toi, à ton mariage dont vous aviez fixé la date. Je ne sais pas pourquoi il a fait...
- Tu mens ! Je crois que tu es jalouse...”
Et c’est à ce moment, continue Lucile, qu’Audrey n’a plus fait attention à la route. Elle m’a regardé en me traitant de menteuse, de jalouse et j’ai juste eu le temps de crier :   “ Fais attention ! Le virage ! ”
C’était trop tard. Elle a freiné mais on roulait trop vite. La voiture a quitté la route, l’accotement s’effondrait dans un champ. Le véhicule est parti en tonneaux. Je ne sais pas combien nous en avons fait. Je ne sais plus, tout s’est passé tellement vite. J’ai entendu un grand choc. On venait de percuter quelque chose et ce quelque chose avait immobilisé la voiture. Mais pas dans le bon sens : à l’envers !
Je n’arrivais pas à ouvrir ma portière. J’ai poussé, tapé avec mes pieds. La tôle était pliée et il n’y avait rien à faire pour débloquer cette foutue porte. J’ai parlé à Audrey. Elle ne m’a pas répondu.
J’ai paniqué.
Pendant un instant je l’ai cru morte. Je me suis penchée vers elle et je l’ai entendue respirer. Un souffle long et difficile.
Nous étions la tête en bas, les ceintures nous maintenaient aux sièges. J’ai senti l’odeur de l’essence : le réservoir se déversait. J’entendais le liquide se répandre dans l’habitacle. J’ai dit à Audrey que c’était dangereux, qu’il fallait sortir de là rapidement.
J’ai attrapé sa tête et là, mon Dieu ! J’ai hurlé ! Je sentais mes mains trempées, trempées par son sang. J’ai compris qu’elle ne devait pas rester dans cette position, et il fallait sortir, l’essence, la portière bloquée et on ne voyait rien. Je me suis calmée. J’ai dit à Audrey que j’allais nous sortir de cette bagnole. J’ai touché son bras et dans sa respiration j’ai perçu un râle. Je crois qu’elle n’arrivait même plus à crier. Elle devait être blessée au bras, mais je ne voyais rien dans cette nuit de merde !
En fait, nous avions percuté un arbre. C’est son feuillage qui nous plongeait dans cette obscurité. Parce que j’ai vu par la suite, que la lune brillait bien cette nuit-là, et que le tronc de l’arbre avait enfoncé tout le côté conducteur.
Audrey a essayé de prononcer quelques mots, mais c’était trop faible je n’ai rien compris. J’ai dit : “ Quoi ? Quoi ? ”
Elle a dirigé son bras en gémissant vers le centre du plafond qui était ce qui touchait le sol, parce que la voiture avait les quatre roues en l’air.
J’ai cherché à tâtons et j’ai senti un brise-glace.
Je l’ai attrapé.
J’ai tapé, tapé sur la vitre de ma portière. On ne pouvait même pas passer par le pare-brise, les montants s’étaient tordus pendant les tonneaux.
J’ai tranché ma ceinture avec ce même outil. Je me suis retrouvée sur le plafond. En me cognant la tête un peu partout sur le tableau de bord, j’ai dégagé Audrey de la sienne. En l’agrippant, j’ai senti son sang partout sur mes mains. Mon cœur s’est accéléré, je pensais au sang, à ses blessures, à l’endroit où nous étions et que personne ne pouvait nous apercevoir. J’ai cru me sentir mal, rien qu’à l’idée de tout ce sang.
Quand j’ai tiré Audrey hors de la voiture, elle a essayé de hurler. Ce n’était que de cours gémissements. Je devais lui faire mal. Je l’ai sortie en passant mes mains sous ses aisselles. Je n’avais plus de force, mes jambes tremblaient. Je nous ai mises à l’abri, assez loin  de l’épave et de cette odeur d’essence qui m’envahissait la tête. Nous étions sur l’herbe humide d’un grand champ. Maintenant je pouvais mieux voir, la pleine lune m’éclairait. J’ai vu le visage d’Audrey rougi par le sang, ses mains et les manches de sa veste en étaient également trempées.
Et j’ai éclaté en sanglots.
Je criais : “ Mon Dieu, ce n’est pas vrai ! ” J’ai déboutonné sa veste pour voir d’où elle perdait tout ce sang.
Je n’ai rien trouvé.
J’ai posé sa tête sur mes genoux. Il faisait froid cette nuit-là, mais moi je m’en foutais, je pensais à Audrey qui était mal en point. J’ai enlevé ma veste et elle a ouvert les yeux juste à ce moment. Elle m’a regardé. Je lui ai dit que tout allait bien, que ce n’était rien, qu’on allait s’en sortir. “ Tu entends ? ” j’ai dit en pleurant, “ tu n’as rien sœurette, tu n’as rien !” Elle m’a répondu, d’une voix faible et tremblante : “ Brice... n’a pas... fait ça ? ” J’ai tourné la tête pour dire non. J’ai pleuré. J’ai dit non plusieurs fois, qu’il n’avait jamais rien fait de pareil. Elle m’a sourit et m’a dit en toussant : “ Je le savais... pas mon Brice... il m’aime...”
Et elle n’a plus rien dit.
C’était la dernière fois que je devais entendre sa voix, et je ne le savais même pas.
Je l’ai secouée un peu. Puis je l’ai giflée. Il ne fallait pas qu’elle s’endorme. “ Faut rester éveillée ! ” j’ai dit, “ reste avec moi Audrey ! T’en vas pas, j’ai besoin de toi ! ”
J’ai crié, hurlé au secours. J’ai supplié pour que quelqu’un vienne.
Personne.
Mes cris se sont perdus dans la nuit. Seules les étoiles  ont été témoins de l’accident.
 
J’ai vu des phares passer derrière moi. Je me suis levée en posant ma veste roulée sous sa tête. J’ai couru aussi vite que j’ai pu vers la route. Je ne tenais plus debout. Je trébuchais à chaque pas. Je n’en pouvais plus. Ma tête me brûlait. J’avais dû m’entailler le cuir chevelu en sortant de la voiture.
J’ai grimpé le fossé qui me séparait de la chaussée, les phares étaient déjà loin.
Je ne savais pas quelle direction prendre. Avant l’accident, j’avais remarqué que nous étions sur la route de Beaumont-Hague, quelque part entre Querqueville et Sainte-Croix. Je n’avais pas fait attention aux ponts, mais j’en voyais un sur la gauche, vers Sainte-Croix. Si c’était le deuxième, je n’étais qu’à deux ou trois kilomètres de la maison. Mais si ce n’était que le premier, cinq ou peut-être six kilomètres. Je ne pouvais pas me souvenir de l’emplacement des maisons les plus proches. Je connais cette route depuis toujours et je n’arrivais même pas à me situer. Je ne savais pas quoi faire, je ne pouvais pas m’éloigner d’Audrey.
 Je respirais rapidement. Mon cœur  battait à toute vitesse. Je me suis tapée sur les joues pour me calmer. Puis j’ai vu des phares blancs au loin. C’était une ligne droite, celle du dernier pont avant Sainte-Croix. Le temps que je réalise, les phares étaient tout près de moi. J’ai fait des signes. La voiture a ralenti. Elle s’est arrêtée à ma hauteur. Je criais, je ne sais plus ce que j’ai dit, mais j’expliquais à qui voulait l’entendre que je venais d’avoir un accident et que ma sœur était gravement blessée. Les quatre portes se sont ouvertes aussitôt. Quatre hommes se sont éjectés de la voiture, le conducteur m’a dit qu’ils étaient des sapeurs-pompiers de Beaumont. Il m’a demandé où était le véhicule. J’ai montré du doigt.  Un autre a pris la CB et a prévenu sa caserne, un troisième sortait une grosse mallette du coffre, et le quatrième m’a pris par la main en me demandant de m’asseoir sur le siège arrière. Il m’a demandé si j’étais blessée,
j’ai dit : “ Peut-être à la tête, mais ce n’est rien. ”
J’ai enlevé sa main et j’ai marché vers Audrey.
Le gars m’a retenu,
je lui ai dit que ça allait, que je voulais voir ma sœur.
Les deux autres étaient déjà auprès d’elle. J’ai entendu un des deux qui criait : “ Eric, elle est inconsciente ! Ne ventile plus et ne circule pas ! ” Et l’autre dans la voiture a répété la phrase dans le micro.
Au loin, on entendait la sirène de Beaumont qui hurlait dans la nuit. Deux coups pour dire que c’était un accident de la route.
J’ai marché vers Audrey sans me soucier du gars qui voulait me retenir près de la voiture. J’ai couru.
Ils avaient déjà découpé les manches de sa veste.
C’était pas beau à voir.
 
Audrey avait des fractures ouvertes au bras droit. Ils avaient posé un garrot afin de  stopper l’hémorragie. L’un des deux, le conducteur, a essayé de la réanimer par un massage cardiaque.  Quand j’ai vu ça : j’ai crié. Je voyais ma sœur allongée. Elle ne bougeait plus.
L’un a ramassé la lampe électrique et a dit : “ Attends, je t’éclaire Sébastien ! ” Le Sébastien a découpé le chemisier d’Audrey et a continué le massage. Puis il a dit à celui qui voulait que je retourne à la voiture : “ Merde ! Emmène-la ailleurs ! ”
Le gars m’a tirée par le bras et doucement il m’a dit : “ Allez mademoiselle, venez ! Ils s’occupent d’elle, ça va  aller maintenant ! ”
Il m’a forcé à le suivre.
En m’éloignant, je tournais la tête vers Audrey. J’entendais Sébastien qui disait :
“ Respire Audrey ! Merde respire ! ”
A la voiture, on m’a assise sur la banquette arrière. Il m’a examiné la tête, les yeux avec une lampe électrique. J’ai entendu l’ambulance qui arrivait. Puis les gendarmes et je ne sais plus qui. J’en ai vu de tous les côtés.
Plus tard, ils ont emmené Audrey sur un brancard. Je ne savais rien de son état. Je ne voyais pas sa tête, il avait mis une couverture.
J’ai compris et j’ai hurlé son prénom.
J’ai hurlé comme jamais je ne l’avais fait. J’ai voulu m’approcher mais des pompiers en uniforme m’ont retenu, et j’ai senti une piqûre sur mon bras gauche.
Après, plus rien.
Je me suis réveillée à l’hôpital. Je ne savais pas quel jour on était, où j’étais.
J’ai vu papa assis à côté du lit. Il me souriait. Il s’est levé pour m’embrasser. J’ai demandé des nouvelles d’Audrey. Il m’a répondu qu’elle allait bien. Que je ne m’énerve pas. Et moi, j’ai pleuré en disant que ce n’était pas vrai, qu’elle n’allait pas bien. J’ai répété la phrase plusieurs fois. Papa m’a attrapé les mains et m’a serrée très fort contre lui. Il avait la voix déchirée et je l’entendais dire : “ Merci Mon Dieu de ne pas me les avoir prises toutes les deux. ”
Après je ne sais plus.

Carnet de soldats du feu
Brice

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Re : Cela arrive aussi comme ça !!
« Réponse #1 le: 01 juillet 2004, 10:12:05 »
Elle est poignante cette histoire.
Merci de nous en avoir fait part Fabrice.
Ca fait réfléchir.

Hors ligne BANNY

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Re : Cela arrive aussi comme ça !!
« Réponse #2 le: 17 mai 2005, 16:39:25 »
Je suis pompier dans cet caserne et mon pére depuis 23 ans j'ai ramené ce recit à la caserne pour le fair lire aui ancien et aucun sens souvient pourré tu me donner plus d'informations mercii.

ZECOP89

  • Invité
Re : Cela arrive aussi comme ça !!
« Réponse #3 le: 17 mai 2005, 19:47:59 »
Fils de SP pro en retraite et policier, j'ai vu pas mal de méchanter***, mais ce texte chargé en émotion m'a bouleversé...
J'ai les yeux embués et je pense à cette jeune femme partie en laissant sa soeur et ses parents.
Mais la vie continue...
Merci pour ce témoignage.
Transmettez tout notre soutien à la famille et à cette jeune fille.
ZECOP89.