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SECURITE => Gendarmerie Nationale => Discussion démarrée par: Jeano 11 le 06 octobre 2025, 11:56:35
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Peggy Allimann, analyste comportementale, et Céline Nicloux, expert en morpho-analyse des traces de sang durant 23 ans, toutes deux militaires de la Gendarmerie nationale, lèvent le voile sur leurs métiers respectifs dans un ouvrage écrit à quatre mains. Loin des clichés des séries télévisées, elles racontent la réalité des enquêtes criminelles, le volet humain qui se cache derrière chaque dossier et la quête de vérité qui guide leur travail.
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs séries à succès comme Dexter, Les Experts, Profiler ou encore Esprits criminels ont mis en lumière ces experts capables de décrypter une scène de crime en se concentrant sur des faits matériels, comme les traces de sang, ou sur la personnalité de l’auteur lui-même. Mais si, à l’écran, les affaires se résolvent en moins d’une heure, à grand renfort de technologie, la réalité est bien plus complexe. « Ce que l’on voit dans les séries est souvent loin de notre réalité professionnelle », insistent à l’unisson le chef d’escadron Peggy Allimann, analyste comportementale et adjointe au chef du Département des sciences du comportement (DSC) de la Division des affaires non élucidées (DIANE), et l’adjudant-chef Céline Nicloux, longtemps morpho-analyste de traces de sang à l’IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale), aujourd’hui en charge de la criminalistique à la DIANE au sein du Département investigations et appuis aux enquêtes complexes (DIAEC). Une réalité qu’elles ont choisi de montrer dans leur livre : Crimes – Psychocriminologie et morphoanalyse des traces de sang. Au-delà de leurs spécialités, elles y donnent aussi la parole à des enquêteurs, des experts et des magistrats, pour offrir une vision globale du travail judiciaire.
Deux disciplines complémentaires
Les deux expertes parlent de leur métier avec passion. Tournée vers l’humain, l’analyse comportementale consiste à « repérer toutes les traces comportementales, du début jusqu’à la fin d’un scénario criminel, afin de déterminer les motivations et un profil d’auteur inconnu », explique le chef d’escadron Peggy Allimann.
De son côté, la morpho-analyse vise à établir le déroulé des faits à partir de la lecture des traces et des projections de sang. « Cette discipline cherche à expliquer les événements sanglants à l'aide d'éléments objectifs et scientifiques (biologie, mécanique des fluides notamment) », précise l’adjudant-chef Céline Nicloux. L’étude de la scène de crime peut ainsi permettre de reconstituer la les positions et déplacements des victimes et agresseurs, la chronologie des faits sanglants, le nombre de coups, et même le type d’arme utilisée. Lors des auditions, ces analyses permettent ainsi de confirmer ou d’infirmer les témoignages.
Sciences criminelles et sciences humaines se complètent donc étroitement : « Plus on a d’éléments observables, comme les traces de sang ou d’autres preuves relevées grâce à la criminalistique, plus cela aide à reconstituer l’ensemble du scénario criminel, à proposer des pistes aux enquêteurs et/ou réduire le champ des suspects », souligne le CEN Allimann, tout en rappelant que si l’analyse comportementale « n’est pas une science exacte, elle doit reposer sur une méthodologie rigoureuse ».
« Montrer le réalisme de nos métiers »
La rédaction de ce livre est née d’une opportunité. « En janvier 2022, j’ai reçu un mail de la maison d’édition Hachette me proposant d’écrire un livre sur la psychologie des crimes. J’ai trouvé plus intéressant de proposer un projet commun à Céline, qui nous permettrait de présenter nos deux disciplines, mais pas seulement. Nous voulions aussi donner la parole à tous les professionnels de l’écosystème judiciaire pour montrer le réalisme de nos métiers », raconte Peggy Allimann.
Après quelques hésitations, Céline Nicloux accepte de se lancer : « J’ai hésité ne sachant pas si j’étais en capacité d’écrire autre chose que des rapports d’expertises et des publications scientifiques. Au départ, la maison d’édition nous a laissé le champ libre. Nous avons écrit des dizaines de pages sans savoir si tout serait retenu… Mais au fil des interviews et de la rédaction, l’architecture du livre s’est construite. »
En parallèle d’un quotidien exigeant, les deux militaires ont mené un véritable travail d’enquête journalistique. Des dizaines d’heures d’entretiens se sont transformées en centaines de pages, mêlant récits personnels et explications techniques. « Cela nous a frustrées, car après tout ce temps passé avec ces personnes qui finissaient par se livrer, nous ne pouvions conserver qu’une infime partie de leurs témoignages », regrette Céline Nicloux.
Entre passion et charge émotionnelle
« Nos métiers suscitent beaucoup de fantasmes, mais on ne connaît peut-être pas assez l’envers du décor, évoque le CEN Peggy Allimann. Ce sont des métiers passion. Une passion qui nourrit notre curiosité et nous pousse à aller toujours plus loin, mais qui peut s’avérer dévorante. Il est difficile de poser des limites, et cela peut avoir des conséquences sur la santé comme sur l’équilibre de vie. Les professionnels du judiciaire sont rarement chez eux, peu présents auprès de leur famille, souvent décrochés du quotidien. »
À cela s’ajoute une lourde charge émotionnelle. « On va d’horreur en horreur, on en voit de plus en plus. Forcément, nous n’y sommes pas insensibles et cela se traduit différemment chez chacun d’entre nous », note l’officier.
« Pour essayer de se préserver de cette noirceur, on se crée une carapace, renchérit l’ADC Céline Nicloux. Mais il faut trouver le juste équilibre pour qu’elle ne nous sépare pas des choses agréables et des belles émotions. On doit rester connectés à la réalité des gens qui nous entourent, tout en se protégeant de notre quotidien professionnel qui sort de la normalité. Dans le livre, on parle souvent d’ombre et de lumière : c’est une dualité permanente. On a la lumière dans les yeux pour le travail à accomplir, mais on est face à l’ombre en permanence, et il ne faut pas la laisser nous atteindre. »
« Souvent on nous demande comment on fait pour voir autant d’horreurs, surtout d’un point de vue comportemental, reprend Peggy Allimann. En fait, on se rend compte qu’il y a une part d’humanité énorme dans chaque dossier, aussi bien du côté des auteurs que des victimes ou des professionnels. Chaque fois on se dit qu’on est au summum de l’horreur, et chaque fois apparaissent des gestes, des intentions, des parcours… qui humanisent les protagonistes. Heureusement qu’il y a cette part-là. Mais malgré ça et malgré nos carapaces, à un moment donné, cela peut nous atteindre. »
Les assises : un moment éprouvant
Le livre revient aussi sur un passage incontournable et souvent émotionnellement éprouvant : la comparution devant une cour d’assises, où enquêteurs et experts doivent rendre compte de leur travail face aux magistrats, aux avocats, aux jurés… et aux familles. Les experts doivent alors conjuguer rigueur scientifique et clarté pédagogique. « Devant les assises, il faut savoir traduire un langage scientifique ou technique en termes simples, compréhensibles par tous », explique Céline Nicloux.
Un exercice plus délicat encore pour l’analyse comportementale, discipline perçue comme moins « solide » que l’ADN ou la balistique. Toute la difficulté réside dans la restitution d’éléments invisibles comme les motivations, les logiques internes ou les traces psychologiques laissées par l’auteur. « Il ne s’agit pas de juger, mais d’expliquer le passage à l’acte et de donner des clés de compréhension », souligne Peggy Allimann.
De cette démarche est né un ouvrage mêlant confidences, récits de terrain et explications techniques. Peggy Allimann et Céline Nicloux y partagent la réalité de leur métier : des projections sur des scènes de crime en pleine nuit à la fatigue des enquêtes, en passant par l’accumulation d’atrocités et leur impact sur la vie privée. En croisant leurs regards, elles signent un livre à la fois scientifique et profondément humain, qui lève le voile sur l’envers des enquêtes et sur la passion de celles et ceux qui, dans l’ombre, œuvrent à la recherche de la vérité. Un ouvrage qui, elles l’espèrent, saura également susciter des vocations et donner envie à des jeunes, notamment des femmes, de rejoindre ces métiers passion.
Par le commandant Céline Morin
Publié le 07 septembre 2025
Source https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/culture/crimes-psychocriminologie-et-morphoanalyse-des-traces-de-sang
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Division des affaires non élucidées (DiANE)
Une structure dédiée aux affaires non résolues dénommée Division des Affaires Non Élucidées (DiANE) a été créée au PJGN. Elle rassemble les compétences criminalistiques de l'institut de recherche criminelle (IRCGN) et les capacités d'investigation et d'analyse du service central de renseignement criminel (SCRC).
En s’appuyant sur les pratiques européennes et anglo-saxonnes existantes, la gendarmerie a dessiné les contours d’une définition non exhaustive.
https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/unpj/l-unpj/service-central-de-renseignement-criminel-de-la-gendarmerie-nationale/division-des-affaires-non-elucidees-diane