Le couple de délinquants multirécidivistes formé par Abdallah Boumezaar et Inès Farhat comparait depuis le mardi 10 février devant la cour d'assises du Var, à Draguignan. Lui est poursuivi pour "meurtre" suivi d'un "assassinat", elle est accusée de "complicité de meurtre" et de "dissimulation de preuves".
Six proches riverains de la scène de crime se sont succédés à la barre ce lundi matin pour reconstituer le meurtre de l'adjudante Alicia Champlon.
Sylvain pensait que les deux militaires étaient là pour un autre cambriolage. Celui pour lequel lui et quelques amis - dont la victime du cambriolage - tentaient de mettre la main sur Abdallah Boumezaar. La patrouille se rend dans la rue Marat où vivent Boumezaar et sa compagne Inès Farhat.
Sylvain est agité, un peu "chaud", parce qu'il a consommé de l'alcool. "La plus jeune des deux gendarmes (Alicia) m'a demandé de rester à l'écart parce que je n'étais pas directement concerné pendant que l'autre (Audrey) est montée dans l'appartement", a-t-il expliqué en substance.
Quelques minutes plus tard, alors que Sylvain s'éloignait, un coup de feu éclate dans le logement. "J'ai entendu des cris. En me retournant, j'ai vu une gendarme qui crait "Allez vous-en !" Je n'ai pas demandé mon reste, j'ai couru tout ce que j'ai pu."
Derrière lui, il entend d'autres percussions, "cinq coups de feu au minimum". Les tirs destinés à l'adjudante Champlon.
Le témoin se réfugie dans "le seul bar encore ouvert" jusqu'à l'arrivée des gendarmes. Il les conduira, alors que le tueur est recherché, jusqu'à la place Pasteur. Et décrit, à la barre, la terrible scène qu'il avait laissée derrière lui.
"Elle courait et téléphonait, il lui tirait dessus" A ces récits s'est ajoutée la déclaration, lue par le président de la cour, d'une habitante (excusée pour raison de santé) dont l'appartement est situé en face du domicile alors occupé par les accusés.
Elle a vu Alicia Champlon sortir de l'immeuble de la rue Marat où Audrey Bertaut a été abattue avec son arme. "Elle courait et téléphonait, l'homme courait derrière, il lui tirait dessus."
De sa fenêtre, un peu plus loin, Pascaline voit Alicia "boiter" avec le tireur à sa poursuite. "Je ne savais pas ce que je pouvais faire, a-t-elle répété à la barre. J'ai crié : "Arrête-toi, arrête-toi, tu es devenu fou ! "
"Il touchait son arme, et il s'est avancé..." Une phrase attribuée par un autre témoin à Inès Farhat la semaine dernière... "La jeune femme a traversé la place (Pasteur, Ndlr), elle est sortie de mon champ de vision. Il s'est arrêté quelques secondes. Il touchait son arme, et il s'est avancé sur la place. Après, j'ai entendu des coups de feu."
Appelée à la barre, une experte de la gendarmerie, sur la base de l'enregistrement d'un appel au "17" effectué alors que les tirs claquaient dans la rue, a isolé deux séries de tirs très rapprochés (une à une seconde et demie d'intervalle), d'abord dans la rue Marat, ensuite sur la place Pasteur.
Pascaline a poursuivi son récit : "L'homme est revenu dans ma direction. Il marchait tranquillement avec une arme dans chaque main, il est retourné dans la rue Marat."
Entretemps, Colette, dont les fenêtres de l'appartement donne sur la place Pasteur, a vu le meurtrier "couché par terre, il cherchait quelque chose sous une voiture." Inès Farhat est arrivée en levant les bras au ciel : "Bébé, bébé!" Il s'est relevé et l'a rejoint. Madelyne, autre témoin, a présicé : "Bébé, bébé ! Mais qu'est-ce que tu as fait ?"
Les autres témoins voient le couple après les faits. "Ils ont fait deux ou trois allers et venues, explique une femme réfugiée au 1er étage d'un restaurant. Lui essayait de téléphoner, elle avait quelque chose entre les mains. Après, c'est elle qui téléphonait..."
"Ils couraient puis, en nous voyant, se sont mis à marcher et nous ont dit bonsoir. [Plus loin], ils se sont remis à courir", explique une ancienne habitante. "Bébé, viens par là!", a-t-elle entendu dans la bouche d'Inès Farhat.
Avec les auditions de Nabil Haouach et du jeune Hakim Harchi, la cour d'assises du Var a connu vendredi un moment capital dans le procès d'Abdallah Boumezaar et Inès Farhat.
Il s'agissait des deux seuls témoins oculaires de la confrontation qui a coûté la vie à la maréchale des logis-chef Audrey Bertaut, suivie de l'assassinat de l'adjudante Alicia Champlon, après une brève course-poursuite.
Une déposition au tempo prestissimo ; Hakim Harchi avait conservé une mémoire très précise des faits. Mais doté d'une élocution très véloce, il en a fait un récit au pas de charge, qui a laissé l'auditoire hors d'haleine.
Le jeune homme était dans la rue Marat, au moment de l'arrivée des gendarmes chez le couple Boumezaar-Farhat. Il avait décidé de monter à leur appartement, sur les talons de Nabil Haouach, quand ils avaient entendu des voix féminines appeler au secours.
Il avait découvert la scène suivante : « La gendarme blonde était recroquevillée sur le canapé, avec Abdallah au-dessus d'elle qui essayait de prendre son arme. Elle la tenait à deux mains et lui donnait des coups de pieds pour essayer de se dégager. Nabil donnait des coups sur la tête d'Abdallah avec une lampe. De l'autre côté, juste derrière eux, Inès frappait Abdallah à coups de poings dans le dos. Elle était paniquée et criait "arrêtez, arrêtez". »
« Il était en transes, il visait la tête » C'est à ce moment qu'Hakim Harchi est intervenu. « La gendarme Champlon était sonnée, allongée derrière Inès. Elle avait du sang sur le visage, sa matraque à côté de son épaule gauche. Elle était sur les coudes pour essayer de se relever. Elle m'a demandé de l'aider. Mon premier réflexe a été de la tirer par les pieds. Je l'ai aidée à se relever dans le couloir. Elle m'a dit "je dois aider ma copine, aidez-moi" ».
« J'y suis retourné et j'ai vu Nabil sortir en courant. Il a dit "il a le pétard". Dans l'appartement j'ai vu Abdallah l'arme à la main. Il était en transe. Il visait la tête (il mime l'arme tenue à deux mains en tremblant) du gendarme Bertaut, à ses pieds à moins d'un mètre. Elle a mis les mains devant son visage. Inès regardait par-dessus son épaule le gendarme Bertaut.
Au moment où il a tiré, j'ai tourné la tête. Je suis parti en claquant la porte. Dans la rue, j'ai pris par la droite et je suis parti en courant. Je n'ai pas vu Alicia Champlon. Elle devait être derrière sa voiture. »
Un bon témoin pour Inès Farhat - Pour la défense d'Inès Farhat, poursuivie pour complicité de meurtre aggravé en raison du rôle actif qui lui est prêté dans cette bagarre, cette déposition était importante. Me Jean-Claude Guidicelli a fait confirmer au témoin que sa cliente ne faisait que regarder, sans intervenir, et que lors de la reconstitution, il avait dit que la jeune femme faisait tout pour arrêter son compagnon.
Mais Hakim Harchi avait aussi déclaré au gendarme qui l'avait auditionné à chaud, le lendemain des faits : « Inès était au milieu, c'était confus. Je ne peux pas dire si elle aidait Nabil ou son mec. »