Lorsque survient un crash d’aéronef, les enquêteurs spécialisés de la gendarmerie des transports aériens, de ses brigades ou de sa section de recherches, en fonction de la gravité et de la sensibilité de l’accident, se projettent sur place pour mener les investigations. Présentation des missions de ces gendarmes « aéro ».
C’était il y a neuf ans, le 24 mars 2015. À 10 h 32, le vol 4U9525 de la compagnie aérienne allemande Germanwings, filiale de Lufthansa, effectuant la liaison entre Barcelone et Düsseldorf, entame une descente progressive inexpliquée. Contacté à plusieurs reprises par la tour de contrôle d’Aix-en-Provence, l’équipage ne répond pas aux appels. À 10 h 41, il disparaît des écrans radar au niveau du massif des Trois-Évêchés, situé dans les Alpes-de-Haute-Provence et culminant à 2 961 mètres d’altitude. L’Airbus A320, transportant 144 passagers et six membres d’équipage, s’est écrasé. Il s'agit du troisième plus grave accident aérien survenu en France, par le nombre de victimes.
Très rapidement, la gendarmerie nationale met en place un dispositif opérationnel d’ampleur, qui monte en puissance au fil des heures. Le but de la manœuvre est de conduire les investigations afin de comprendre les causes de l’accident, d’identifier les victimes et de permettre aux autorités, ainsi qu’aux familles, de se rendre sur place. Au cœur de l’enquête qui conclura à un acte délibéré du copilote de l’avion : la Section de recherches des transports aériens (SRTA), créée en 2004 afin de prendre en compte les accidents d’aviation civile de grande ampleur - décision prise après celui du Concorde en 2000 -, et plus précisément sa Division des investigations aéronautiques (DIA).
Tout ce qui vole et relève de la DGAC
Composée actuellement de cinq enquêteurs et quatre Techniciens en identification criminelle (TIC) qui ont le même socle de formation que les TIC généralistes, complété par une spécificité « aéro », afin de pouvoir procéder aux constatations aussi bien sur les aéronefs que les victimes, la DIA est engagée systématiquement sur les accidents ayant causé plus d’un mort, mais aussi ceux présentant une sensibilité médiatique, une complexité ou une sérialité particulière, tant en zone gendarmerie qu’en zone police.
Concrètement, lorsque survient un accident aérien, les premiers gendarmes spécialisés à se projeter, pour relever les premiers à marcher issus des unités de gendarmerie ou de police locales, sont les enquêteurs des Brigades de gendarmerie des transports aériens (BGTA), réparties sur tout le territoire national, métropolitain et ultramarin. Elles sont compétentes sur plusieurs départements, parfois jusqu’à cinq. Armée par quinze militaires, dont six sous-officiers, celle d’Athis-Mons, dans l’Essonne, couvre ainsi, outre ce département, ceux du Loiret et de Seine-et-Marne. « Nous nous déplaçons systématiquement sur les accidents concernant tout ce qui vole et qui relève de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) », explique son commandant, le major Jean-Marc. « Nous prenons contact immédiatement avec les gendarmes locaux et nous les informons, sur le temps du trajet, sur ce qu’ils peuvent faire, les précautions à prendre, comme sur les ULM, qui embarquent une charge pyrotechnique pour les parachutes, poursuit l’adjudant Dorian, chef de groupe enquêteurs de la brigade. Nous prenons également contact avec le commandement pour une éventuelle saisine de la SRTA. »
Les BGTA interviennent en zone gendarmerie, mais aussi, de plus en plus, en zone police. « Nous leur proposons nos services, et nous les accompagnons comme nous le faisons pour une unité de gendarmerie, comme ce fut le cas récemment à Villejuif, dans le Val-de-Marne », précise le major Jean-Marc (lundi 4 décembre 2023, un petit avion s’est écrasé dans une zone pavillonnaire, miraculeusement sans faire de victimes, NDLR).
Deux enquêtes en simultané
Les gendarmes préviennent également la DGAC car, et c’est une particularité des investigations aéronautiques, deux enquêtes se déroulent simultanément. L’une judiciaire, l’autre technique, menée par le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA). Ces deux enquêtes sont indépendantes, avec une prééminence de l’enquête technique. « Il y a de nombreux échanges, bien sûr, même si ce n’est pas dans la culture judiciaire de travailler simultanément avec un autre acteur sur des dossiers où il y a des victimes et d’éventuelles responsabilités pénales », reconnaît le colonel Cédric Gervais, commandant de la SRTA. « Le BEA ne se déplace pas systématiquement, tout dépend de la gravité de l’accident, mais il ouvre toujours un dossier », complète l’adjudant Dorian.
Le plus souvent, la BGTA missionne trois personnels, dont deux sous-officiers, parfois quatre sur les accidents les plus graves. « Les premiers échanges avec les gendarmes départementaux permettent d’avoir une idée assez précise de ce que nous allons découvrir en arrivant, estime le major Jean-Marc. Et de décider s’il faut solliciter la compagnie pour l’engagement de moyens supplémentaires. »
La grande majorité des gendarmes affectés en GTA suivent, dès leur arrivée, une formation générale : le Brevet d’initiation aéronautique (BIA), qui leur donne un premier vernis « aéro ». Par la suite, ils peuvent, sur la base du volontariat, suivre différentes spécialisations : le stage d’initiation planeur avec l’armée de l’Air ; la formation « vol à moteur », qui permet de comprendre la maniabilité de base d’un appareil, comment il réagit en vol, et pourquoi il tombe ; le Stage initial accidentologie (SIA), qui permet de se perfectionner sur les techniques d’enquête, mieux comprendre qui sont les acteurs et comment travailler avec eux ; le stage « accidentologie planeur », avec des études de cas d’accidents et des mises en situation pratiques ; le stage sur le maintien en conditions de vol d’un aéronef ; le stage Enquêteurs de Première Information (EPI) du BEA, sur lequel des places sont accordées à la GTA pour permettre aux gendarmes de découvrir le BEA et ses moyens d’enquête.
Dans 95 % des cas, c’est le facteur humain
Ces formations, les enquêteurs de la DIA les ont toutes suivies. Lorsque les conditions sont remplies, ce sont donc eux qui se projettent sur les lieux, comme ce fut le cas récemment dans les Alpes-Maritimes, sur un crash d’hélicoptère ayant fait deux victimes. « La SRTA prend alors la Direction d’enquête (D.E.), en co-saisine avec l’unité de police ou de gendarmerie territorialement compétente, décrit le capitaine Stéphane Jean, chef de la DIA. Nous menons les investigations « aéro », les unités locales et la BGTA se chargent de la gestion des corps et des familles. La SRTA transmet alors une jonction des deux procédures, soit au procureur de la République, dans le cadre d’une enquête préliminaire, soit au juge d’instruction, en cas d’ouverture d’une information judiciaire. »
L’objectif des investigations est de déterminer les causes de l’accident afin de définir les éventuelles responsabilités pénales. Ces causes peuvent être nombreuses : facteur humain, problème mécanique, problème de maintenance, intervention d’un tiers, phénomène météo, la foudre par exemple, ou encore un impondérable, comme la collision avec un volatile. « Mais dans 95 % des cas, c’est le facteur humain », insiste le capitaine Jean.
"Uberisation" du ciel
Un autre élément prend de plus en plus d’importance dans les investigations aéronautiques : les conditions d’organisation du vol au regard des contraintes réglementaires du transport public, qui imposent de posséder un Certificat de transporteur aérien (CTA), ou une licence de transport de passagers à titre onéreux délivrée par un État membre de l’Union européenne. « Or, avec l’« uberisation » du ciel et la multiplication des plateformes de mise en relation entre pilotes et passagers, on assiste à de plus en plus d’accidents sur des vols de transport de passagers illicites », note le chef de la DIA. Ces derniers mois, ce sont ainsi treize personnes qui ont perdu la vie dans ces conditions, lors de trois accidents.
« Des Groupements d’intérêt économique (GIE) montés de bric et de broc contournent cette réglementation sur le transport aérien et proposent des vols à titre onéreux, comme une compagnie aérienne, mais sans respecter les obligations, notamment sur les temps de travail et de repos des pilotes », poursuit l’officier. Bien que son cœur de métier demeure l’accidentologie, la DIA s’est donc également spécialisée sur ce phénomène assez récent, qui constitue une concurrence déloyale, avec des faits de travail illégal et dissimulé. « C’est un autre pan important de notre activité, et cela nous permet de capter des avoirs criminels », confirme le chef de la division.
La DIA réalise également au profit de la GTA un travail de veille et d’anticipation sur les objets volants qui constitueront le ciel de demain, et notamment les drones. « L’usage criminel de ces drones est un sujet très important pour la gendarmerie, qui ne concerne évidemment pas uniquement la SRTA, puisque toutes les unités traitent des dossiers de ce type à leur niveau, rappelle le colonel Cédric Gervais. Mais il est important de s’interroger sur l’évolution de ces appareils : comment vont-ils s’insérer dans le trafic aérien ? Quels risques et quelles menaces feront-ils peser demain sur notre sécurité ? C’est l’une de nos missions. »
Source :
https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/sur-le-terrain/immersion/2024/srta-et-bgta-les-enqueteurs-du-ciel