Auteur Sujet: Il y a 30 ans, que s'est-il passé lors de la prise d'otages d'Ouvéa ?  (Lu 9353 fois)

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FOCUS - Le 22 avril 1988, des indépendantistes kanaks lancent l'assaut sur la gendarmerie de Fayaoué, sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Quatre militaires sont tués et vingt-sept autres sont retenus en otages dans une grotte. Retour sur ces événements.

● Un contexte explosif

Colonisée par la France en 1853, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie pénitentiaire. Les autochtones, les Kanaks, sont déplacés ; privés de terres et de droits. Dépossédés de leur identité culturelle face à l'afflux des bagnards et des nouvelles populations, ils se révoltent en 1878 et 1917. Deux épisodes sanglants.
Jean-Marie Djibaou, dirigeant du FLNKS et figure de l'indépendantisme kanak en 1985.
Les velléités indépendantistes se renforcent en 1975, année au cours de laquelle le premier parti indépendantiste est créé. En 1984, le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS) met en place un «Gouvernement provisoire». Pendant quatre ans, les embuscades, émeutes, fusillades et expulsions se multiplient.


● Le déclencheur: les élections de 1988

La présidentielle de 1988 approche. Sur le «Caillou», elle est couplée à une élection régionale. Elle doit entériner un nouveau statut pour l'île, imaginé par le ministre des DOM-TOM, Bernard Pons. Le «statut Pons» est vu comme un recul par les indépendantistes, qui appellent au boycott du scrutin. À quelques jours du premier tour de la présidentielle 1988, un meeting en faveur de Jacques Chirac, premier ministre en campagne, est organisé à Ouvéa. Une provocation, pour la plupart des tribus de l'île. Des militants indépendantistes décident d'occuper des gendarmeries.

● L'attaque de la gendarmerie de Fayaoué

Le 22 avril 1988, trente gendarmes mobiles sont en renfort à la gendarmerie de Fayaoué pour sécuriser les élections. Ce matin-là, peu avant 8h, le chef de la brigade, reçoit à son bureau trois Kanaks, venus à sa rencontre. La discussion est calme. Jusqu'à ce que l'un d'eux sorte un couteau: «Ne bougez pas, vous êtes prisonniers». «J'ai d'abord cru à une blague [...] puis on s'est débattu», explique le maréchal des logis Lacroix. La bagarre se poursuit hors du local. Un coup de feu est tiré par un militaire. Un commando d'une trentaine d'indépendantistes envahit alors la gendarmerie et prend possession de l'armurerie. La situation échappe au contrôle des forces de l'ordre. Les tirs fusent. L'attaque fait quatre morts chez les gendarmes. Les assaillants raflent fusils d'assauts et mitrailleuses puis partent dans des directions opposées avec 26 otages.

● La traque

Branle-bas de combat. Le jour même, 270 hommes sont déployés sur l'île d'Ouvéa. Le lendemain, Jacques Chirac charge l'armée - et le général Jacques Vidal - de prendre la direction des opérations. L'accès à l'île est interdit à la presse. Rapidement, l'un des deux groupes d'assaillants se rend. Impossible de retrouver les autres. Les interrogatoires - parfois violents - se succèdent dans les villages. Des anciens de la tribu de Gossanah révèlent finalement l'existence de la grotte. Un groupe du GIGN sillonne la jungle. Ils essuient des tirs à l'approche de l'entrée. La végétation est dense. Un premier négociateur est pris en otage. Le lendemain, six hommes - dont Philippe Legorjus, commandant du GIGN - sont fait prisonniers. Pis, les Kanaks détiennent aussi Jean Bianconi, le premier substitut du procureur de la République. La situation devient cauchemardesque. On compte 24 otages en tout.
● Prisonniers de la grotte

La grotte, sacrée, est noire et humide. Jadis, les ancêtres s'y réunissaient avant de partir à la guerre. La chaleur y est étouffante. Les gendarmes de Fayaoué sont libres de leurs mouvements. Pas les nouveaux prisonniers, attachés au fond. L'organisation dans la grotte reprend celle de la tribu: les gardiens du village jouent les sentinelles. Ils sont ravitaillés par des «porteurs de thé» venus d'un village voisin. Les otages ont des rations de riz. Un peu de confiture. Alphonse Dianou, le chef des ravisseurs, un ancien séminariste reconverti dans la lutte politique, est le seul maître à bord. La négociation avec Paris est compliquée. Le capitaine Legorjus et le substitut Bianconi peuvent sortir et jouent les facilitateurs. Les revendications sont claire pour le FLNKS: retrait des militaires, annulation des élections régionales, organisation d'un véritable référendum d'autodétermination. Alphonse Dianou demande aussi la visite de François Mitterrand en personne. La venue d'une équipe de journalistes est un temps évoquée. Puis le projet avorte. Douze jours que la situation est bloquée.
Le général Jacques Vidal inspecte la grotte de Gossanah.
● L'opération Victor: un bain de sang

Le second tour de l'élection présidentielle approche. Avec quelques réticences, face à un Jacques Chirac partisan de la fermeté, François Mitterrand donne son accord pour un assaut le 3 mai. Le 5 mai 1988 à 6h15, «l'opération Victor» est enclenchée. Il y a là le GIGN, des parachutistes de la gendarmerie et de l'armée de terre ainsi que le commando Hubert, unité des forces spéciales de la marine nationale.
Un hélicoptère Puma approche. À la mitrailleuse par les airs et avec 80 militaires sur terre, le combat s'enclenche. Deux soldats sont tués. Les opérations reprennent en début d'après-midi, au lance-flammes. Les Kanaks ne peuvent pas utiliser les captifs comme boucliers: ceux-ci ont été armés à l'intérieur de la grotte ; le substitut Bianconi avait fait entrer deux petits revolvers scotchés à ses jambes. Le combat dure toute la journée. Les otages s'enfuient par une cheminée latérale. À 18 heures, les Kanaks se rendent. L'assaut fait 19 morts chez les ravisseurs. Alphonse Dianou, blessé, décède un peu plus tard.

● Controverses

L'enterrement des indépendantistes tués dans l'opération Victor.
Certains médias et la Ligue des droits de l'Homme s'inquiètent d'exécutions sommaires. La mort d'Alphonse Dianou, seulement touché à la jambe, paraît trouble à l'ancien commandant du GIGN Philippe Legorjus. Il parle «d'un décès par manque de soins». De plus, une solution pacifique aurait-elle pu être trouvée avant l'assaut? Ces thèses sont réapparues au moment de la sortie du film controversé de Mathieu Kassovitz, L'ordre et la morale.

Le 8 mai 1988, François Mitterrand est réélu. Michel Rocard devient premier ministre et sera l'artisan des accords de Matignon. Ces derniers garantissent une amnistie générale pour les protagonistes de la prise d'otages d'Ouvéa, indépendantistes comme militaires.

Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent !