Chez les Anglo-Saxons, la notion de «citoyen-policier» est solidement ancrée.
Par GUILLAUME BOULORD Sur libération.fr le 27 janvier 2011
Et si le citoyen était le maître d’œuvre de la sécurité? L’idée du gouvernement d’ouvrir les commissariats aux volontaires s’inspire du système anglo-saxon. Les Britanniques ont fait des Bobbies un symbole. Pourtant, le célèbre policier londonien n’a été créé qu’en 1829 par celui qui lui a donné son nom, Sir Robert (Bobby) Peel, alors Premier ministre du royaume. De fait, l’Angleterre s’est dotée très tard d’une police professionnelle distincte du citoyen lambda. Plus que le mythe du policier courtois, c’est en effet le citoyen comme acteur de la sécurité publique qui est ancré dans la tradition anglaise. Sur le plan législatif, le Citizen’s Arrest, la possibilité pour tout un chacun d’arrêter un criminel, remonte au Moyen Age. Les shérifs encourageaient même à appréhender les hors-la-loi.
Ce rôle du citoyen, le gouvernement conservateur de David Cameron a décidé de le renforcer. La raison est la même qu’en France : une réduction drastique du nombre de policiers, 6 000 postes en moins chaque année jusqu’en 2014. En contrepartie, des forces de police privées se créent, et gagnent du terrain. Au départ, de simples compagnies qui, pour 2 à 4 livres par semaine (2,30 à 4,60 euros), surveillent les demeures. Des gardiens désormais «accrédités», qui peuvent exiger d’un individu de ne pas avoir un comportement «antisocial» : dans la rue, ils confisquent la bouteille d’alcool tenue à la main ou le paquet de cigarettes, pour les plus jeunes.
Les Américains se sont aussi inspirés de ce modèle britannique. Depuis plus de vingt ans, les «citoyens en patrouille», des volontaires, se font les yeux et les oreilles de leurs communautés. Formés par les polices locales, ils communiquent directement avec elles par radio ou par téléphone depuis leur voiture. Mais ces volontaires ne sont pas autorisés à porter des armes. L’association nationale de ces citoyens en patrouille revendique 75 000 membres à travers les 50 Etats du pays. Avec un argument : les volontaires, en effectuent un travail de prévention, permettent aux policiers de se consacrer à leur mission première.
Mais dans ce modèle anglo-saxon, le citoyen est aussi celui qui doit déceler la part de voyou qui peut se cacher dans chaque policier ou gendarme. Là encore, il s’agit d’un principe anglais médiéval : l’accountability. Littéralement, le fait pour les services publics de rendre des comptes, police comprise. Ce concept est très présent au Royaume-Uni comme outre-Atlantique. Né dans les années 90 à Cincinati et Los Angeles, le cop watching est un mouvement visant à empêcher les bavures. Avec pour slogan : «Surveiller ceux qui nous répriment.»
Dans le reste de l’Europe, le mouvement connaît ses prémices, à l’instar des «brigades de voisinage d’observation des droits de l’homme» à Madrid. Ces «brigades» se présentent comme une réponse collective à la multiplication des violences policières, et plus concrètement à l’augmentation de la répression des sans-papiers. L’idée est simple : sans violence, muni d’un appareil photo ou d’une caméra, le citoyen observe, capte les faits et gestes des policiers. De telles initiatives ne renforcent pas le lien entre la police et les individus, mais elles permettent de faire entendre la voix des citoyens.
Et Loppsi 2 inventa le policier à la petite semaine
Enquête Examinée hier en commission paritaire, la loi prévoit la création d’un statut de réservistes volontaires, formés sur le tas et qui pourront être armés ou dresser des PV…
Par GUILLAUME BOULORD Sur libération.fr le 27 janvier 2011
Votre voisin, votre mère, votre fils : demain, tous policier ou gendarmes ?
Pas exactement. Mais ils pourraient devenir réservistes de la police nationale. Un contrat, 90 jours par an au maximum, un petit boulot, pour compléter les effectifs de la police nationale là où elle serait «déficitaire». Avec trois conditions : avoir plus de 18 ans, un casier vierge, et la nationalité française.
En 2003, la Loppsi - la loi d’orientation pour la performance de la sécurité intérieure - créait une réserve civile pour la police nationale. Des policiers retraités de moins de 65 ans assurent toutes sortes de missions, des événements sportifs aux élections, en passant par la révolte des banlieues en 2005. Sept ans plus tard, rebelote : une deuxième Loppsi est en discussion, qui passait en commission paritaire hier au Parlement. Parmi ses articles, le «37 quater» prévoit d’étendre cette réserve aux citoyens volontaires.
«Grands concerts».L’UMP justifie cette mesure par le peu de candidats dans les rangs des retraités de la police : 5 164 en 2009. Pour le député Eric Ciotti, le monsieur sécurité du parti, «l’objectif, c’est plus d’effectifs mobilisables en temps réel, et plus disponibles. L’idée, c’est de reprendre le système qui existe dans la gendarmerie depuis 2008. Sa réserve, constituée de volontaires et d’anciens, compte 40 000 hommes». Plusieurs dizaines de milliers de réservistes, pour «de grands concerts, ou le Tour de France», explique Ciotti. Elargie, la réserve vise à compenser la diminution du nombre de postes au sein de la police nationale. En cause, la réforme générale des politiques publiques, et le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux.
Pour Jean-Jacques Urvoas, chargé des questions de sécurité au PS, «l’idée n’est pas choquante si le dispositif vient appuyer les policiers. Mais j’entends l’inquiétude des policiers, qui craignent que cette réserve se substitue à de vrais postes». Exemple : le nombre de places au concours pour devenir adjoint de sécurité a diminué, de 1 546 en 2008 à 500 en 2009, et… aucune en 2010. Quant à Françoise Dumont, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, elle dénonce «l’esprit même de cette réserve» : «Policier, c’est un métier, cela nécessite une formation, une déontologie. Nous n’avons aucune garantie que ces volontaires y seront formés.» Dans les faits, ces réservistes devraient être formés à la manière des pompiers, sur le tas.
Les étudiants sont les premiers visés, «pour qu’ils comprennent mieux ce qu’est la police», explique Ciotti. La réserve civile comme job d’été, mais aussi comme porte d’entrée dans la police nationale. «L’idée, c’est que le citoyen doit être associé à tout, explique Maxime Cessieux, membre du Syndicat des avocats de France (SAF). Mais, il n’est pas formé à tout. Les députés donnent l’exemple du Tour de France : il s’agit clairement de faire du supplétif.»
«Cartouches». Le 37 quater permet aussi d’effectuer des missions de police judiciaire, y compris d’établir des procès-verbaux. «Le PS est fermement opposé à cette idée, rappelle Urvoas, parce qu’il s’agit d’une compétence spécialisée de la police.» Mieux, ces réservistes pourront porter des armes. Ciotti justifie : «C’est déjà le cas des policiers de la réserve. Mais, cela se fera dans le cadre d’une habilitation et d’une formation. Des certificats correspondants seront nécessaires, comme pour la police municipale.» Des garanties insuffisantes, selon Me Alain Mikowski, du Conseil national des barreaux : «Un policier formé a déjà du mal à s’en servir. Il tire déjà peu de cartouches par an [trente cartouches, trois fois par an dans la plupart des cas, ndlr]. Ce n’est pas parce que l’on va leur apprendre à tirer qu’ils sauront s’en servir.» Pour le syndicat policier Snop, «ce n’est pas tant la formation qui dérange, mais l’usage exceptionnel qui doit être fait de ces armes». Les militants anti-Loppsi 2 craignent, eux, que cette réserve civile se transforme en «milice» citoyenne.
Interviewé par Resgend, l’association des réservistes de la gendarmerie, le général Jean Danède, délégué aux réserves de la gendarmerie nationale, l’assure : «La réserve générale devient largement indispensable, surtout en ces périodes troublées.»