Depuis ce mercredi 27 décembre 2016, la police municipale et les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP sont autorisés, à titre expérimental, à s’équiper de caméras et filmer leurs interventions. Un dispositif qui soulève de nombreuses questions.
De quoi parle-t-on ?
A partir d’aujourd’hui, les policiers municipaux peuvent demander à être équipés d’une mini-caméra, sanglée sur leur uniforme au niveau de la poitrine ou de l’épaule, pour filmer leurs interventions. Les agents de sécurité de la SNCF et de la RATP pourront faire de même à partir du 1er janvier 2017 pour limiter les «incivilités» et les «atteintes à la sécurité publique».
Le décret publié mardi 27 décembre au Journal officiel encadrant le dispositif précise qu’il s’agit d’une expérimentation, qui doit durer jusqu’au 3 juin 2018. Il liste trois raisons pour justifier la mise en œuvre de ce dispositif : la prévention des incidents au cours des interventions, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves et la formation des agents de police municipale.
Comme le rappelle la juriste Géraldine Bovi-Hosy, ces caméras devront être portées «de façon apparente par les agents». Le policier, qui peut choisir de déclencher l’enregistrement quand il le souhaite, devra signifier le début de l’enregistrement aux personnes filmées. «Un signal visuel spécifique» indiquera également que ça tourne.
Qui aura accès aux images ?
Les images enregistrées sur le terrain seront ensuite envoyées «sur un support informatique sécurisé» dès la fin du service des policiers municipaux qui les ont tournées, précise le décret. Impossible – c’est en tout cas interdit – de regarder ces images en temps réel, comme c’est le cas pour la vidéosurveillance.
Seuls le responsable du service de la police municipale et «les agents de police municipale individuellement désignés et habilités par les responsables du service» auront accès aux données. Et ce pour les besoins d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, ou encore pour former des agents municipaux.
Conservées six mois, les images seront ensuite automatiquement supprimées, à moins qu’elles ne servent à une procédure en cours.
Quel est le but affiché ?
D’abord évoqué par Nicolas Sarkozy en 2009, le dispositif a été testé en 2013 au sein de la police nationale à la demande de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. Réticents à l’idée d’être fliqués, les policiers ont finalement approuvé la mini-caméra, dont l’usage a donc été généralisé. En octobre 2015, un rapport du Comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté expliquait ainsi que «l’expérimentation du port des caméras-piétons est un succès reconnu par tous. Dans un contexte de violences croissantes commises à l’encontre des agents publics, le recours à l’enregistrement vidéo et sonore objective les faits en cas de recours à la coercition proportionnée. Il joue un rôle dissuasif dans la montée des tensions et aide dans de nombreux cas à prévenir le passage à l’acte violent.» Pour certains policiers, c’est également un moyen de pouvoir filmer à leur tour des citoyens qui n’hésitent pas à le faire avec leur portable.
Bernard Cazeneuve, à l’époque ministre de l’Intérieur, y voyait «un outil qui a beaucoup de vertus, parce qu’il apaise la relation entre la police et la population et parce qu’il permet d’établir quel a été le comportement des uns et des autres. C’est donc aussi un outil déontologique.»
Le dispositif a également été vendu comme une alternative au récépissé de contrôle d’identité pour lutter contre les contrôles au faciès. Défendu par une partie de la gauche, le projet de récépissé a été définitivement enterré en juin dernier. Un amendement prévoyant que les agents équipés d’une caméra embarquée appuient «systématiquement» sur «Rec» lors d’un contrôle d’identité avait alors été adopté. Sauf que le texte n’a toujours pas été mis en application et qu’il s’agit seulement d’une expérimentation.
Mais en pratique ?
Malgré la volonté affichée du gouvernement de faire de la caméra-piéton un outil de rapprochement entre la police et la population, les attentes envers ce dispositif divergent, selon que l’on soit un représentant des forces de l’ordre ou un simple citoyen, comme l’explique Rue89. Le public voit la caméra-piéton comme un moyen d’éviter les bavures policières et les contrôles au faciès, si et seulement si elle filme en continu. Or ce cas de figure n’est clairement pas envisagé. Les syndicats policiers, eux, se félicitent que la vidéo ne soit déclenchée qu’à l’initiative des policiers, au nom de l’autonomie sur le terrain des forces de l’ordre.
Autre enjeu : le cadre légal autour de l’utilisation judiciaire de ces images est encore flou. Si sur la voie publique, la caméra-piéton ne pose aucun problème quand elle est déclenchée par une autorité publique (police ou mairie), cela se complique ailleurs. Comme dans les centres commerciaux, où «l’utilisation de la vidéosurveillance est soumise à un cadre plus strict (le perron de l’entrée seulement, les abords des boutiques, obligation d’informer le public…) sous autorisation préfectorale», détaille l’Express. La question se pose d’autant plus dans les lieux privés où une autorisation de filmer est nécessaire. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) reconnaît qu'«il n’existe pas de cadre spécifique pour les caméras mobiles».
Que disent les expérimentations ?
A partir de mai 2013, une expérimentation de l’installation de mini-caméras a été effectuée sur la police nationale. Un an plus tard, à l’issue de cette phase d’expérimentation, les retours positifs des agents ont fini par convaincre le ministère de l’Intérieur de l’efficacité du dispositif. Il convient tout de même de prendre de la distance avec ce retour sur expérience, positif mais unilatéral.
Aux Etats-Unis, où des expérimentations ont également été menées, les avis sont moins unanimes sur le sujet. Le New York Times interroge les limites du dispositif : «Non seulement la police peut conserver des images qu’elle ne souhaite pas divulguer, mais elle peut également utiliser [le dispositif] à des fins qui n’ont rien à voir avec la transparence et la responsabilité, comme la surveillance de masse». Le quotidien explique qu’il faudrait un accès égal aux images collectées, pour toutes les parties intéressées, et pas uniquement à la faveur des porteurs de caméras. Un autre article du New York Times avance que les images des caméras étaient loin de l’objectivité qu’on pouvait leur prêter.
A l’appui d’une série d’études, le Washington Post explique qu’il y a peu d’éléments permettant de prouver l’utilité des caméras-piétons. «On ne sait pas si les caméras auront une incidence sur la volonté des citoyens d’appeler la police, de coopérer en tant que victimes ou témoins ou simplement de se conformer aux ordres des officiers.» Les études étant encore récentes, beaucoup de questions restent sans réponse, comme la transparence ou le fait que cela dissuade des publics fragiles (victimes de violence familiale, personnes âgées, minorités, migrants etc.) à faire appel à la police.
La caméra-piéton soulève de nombreux doutes sur le contrôle des images, le droit d’accès à celles-ci, le droit à l’image ou encore le déclenchement de l’enregistrement.
Source
http://www.liberation.fr/Les caméras embarquées des policiers, outil anti « bavures » ?
A visionner
http://www.lemonde.fr/police-justice/video/2017/02/09/les-cameras-embarquees-des-policiers-pourront-elles-empecher-les-bavures_5077214_1653578.html