Qui sont ces arnaqueurs qui misent sur vos sentiments et votre empathie pour tenter de vous soutirer de l'argent ?
D'où viennent-ils et comment opèrent-ils ?
Comment sont-ils perçus dans leur pays ?
Décryptage.
Ça peut partir d'un simple commentaire sous l'une de vos publications sur les réseaux sociaux, d'un message sur un site de rencontre, ou même d'un mail d'un inconnu.
Intrigué, vous répondez, sans savoir que derrière l'écran, votre interlocuteur se trouve à des milliers de kilomètres et essaye de vous escroquer.
Le "broutage" apparaît dans les années 2000 avec l’essor d’internet.
Même si le phénomène est mondial, le terme de "brouteur" fait généralement référence à des cyberescrocs opérant depuis l’Afrique de l’Ouest francophone, notamment la Côte d’Ivoire.
Plusieurs types d'arnaques existent. Le but reste le même : soutirer de l'argent à sa cible.
"Les premières traces d'arnaques similaires remontent aux années 1970 au Nigéria. Elles visaient un public anglophone avec des lettres manuscrites ou des fax", explique Nahema Hanafi, historienne et auteure de "L’Arnaque à la nigériane". Mais face à une forte criminalisation, nombre d'escrocs se sont exportés vers l'Afrique francophone.
Les Ivoiriens reprennent le flambeau dans les années 2000 alors que le pays est marqué par une grande paupérisation et un chômage extrêmement important. "Le marché informel concerne alors 90% des jeunes Abidjanais, pour qui ces arnaques vont s'apparenter à des petits métiers", poursuit l'historienne.
Un moyen de s'élever socialement
Le brouteur est généralement un jeune homme, entre 13 et 25 ans qui a une bonne maîtrise écrite et orale du Français. Faisant face à une situation économique problématique, il va chercher un complément de revenu. L'objectif : s'élever socialement, mais aussi "correspondre aux normes masculines du pays, se marier et entretenir sa famille".
Pour se lancer, le brouteur en herbe se rend dans un cybercafé, n'ayant pas forcément les moyens d'avoir un ordinateur et internet à son domicile. Un cadre collectif lui permettant "d'échanger avec d'autres brouteurs et de se former", ajoute Nahema Hanafi. Il repère ses victimes sur les réseaux sociaux et cible davantage les personnes âgées.
Le broutage ne concerne pas que les escroqueries sentimentales. "Vous avez l'arnaque à l'héritage, ou l'escroc prétend être une riche femme française qui s'est enrichie en Afrique. Agonisante, elle souhaite faire don de sa fortune à une œuvre humanitaire. La cible du message doit rapidement envoyer de l'argent pour débloquer des fonds, pour payer un notaire par exemple. Dans la même dynamique, l'arnaque dite 'Made in Lagos' fait intervenir un prétendu réfugié politique qui rencontre des difficultés dans un pays", détaille Nahema Hanafi.
Héros nationaux ?
En deux décennies, les brouteurs ont participé à bâtir leur propre mythe, inspirant des comptes parodiques au ton moqueur comme la page "Méta-brouteurs" sur X (ex-Twitter). En Côte d'Ivoire, ils sont même les héros nationaux d’une série, "Brouteurs.com".
En introduction, le spectateur est informé de l’avènement de "nouveaux truands" avec l'arrivée d'internet. Une dizaine de téléphones sur une table, des liasses de billets qui pleuvent, un cocktail à la main. Voilà le quotidien de Géraud, l'un des personnages principaux.
"Les brouteurs ne se représentent pas comme des criminels. Sur les réseaux sociaux, ils reprennent les codes très libéraux du self-made-man. Ils ne se considèrent pas comme des personnes violentes, ne vont jamais poser avec des armes, mais avec un iPhone, des voitures ou des vêtements clinquants, dans des discothèques chics d'Abidjan. Il y a derrière cela une idée de revanche sociale, ils vont se présenter en tant qu'archétype de la réussite", analyse Nahema Hanafi.
Pour l'historienne, il faut lire le phénomène sous un prisme postcolonial. "Il existe une condamnation morale de ces crimes au sein de la population. Mais parallèlement, il y a une forme de fierté et même d'incompréhension de voir des personnes du Nord se faire leurrer avec leur propre technologie. Si on rappelle le contexte sociohistorique, on a longtemps répété à ces populations qu'elles étaient inférieures intellectuellement. Il existe un discours politique qui prône une sorte de match retour, de rééquilibrage de la dette coloniale, même si ça reste marginal."
Concernant l'ampleur du phénomène, il est quasiment impossible à chiffrer, d'autant plus qu'une grande partie des victimes ont trop honte pour aller déposer plainte. Fin novembre, la plateforme "Cybermalveillance" avait au total recensé 1000 cas. "La majorité des cyberattaques qui touchent massivement la France viennent plutôt des Etats-Unis et de l'Europe de l'Est", tempère de son côté Nahema Hanafi.