Comment le barrage du Drac a fait 7 morts en décembre 1995.
Six enfants et une accompagnatrice ont été noyés dans la rivière.
Pour les 22 enfants du CM1 de Notre-Dame de Grenoble, ce devait être un après-midi de promenade à la découverte des castors, très actifs sur le site naturel du Drac.
Ce fut un drame ; six enfants et l'accompagnatrice du groupe ont trouvé la mort, encerclés puis submergés par les eaux de la rivière soudain déchaînée.
Seize enfants hagards ont réussi à rejoindre leur car stationné au village proche de Saint-Georges-de-Commiers. Ils ont été les premiers à donner l'alerte.
Grâce à eux, deux écoliers et leur accompagnatrice ont pu être repêchés puis hélitreuillés. Ils n'ont pas survécu malgré les soins qui ont leur ont été dispensés à l'hôpital de Grenoble. Les corps de quatre autres enfants, deux garçons et deux filles, portés disparus, ont été retrouvés sans vie, hier, en milieu de journée.
Sur place, dès lundi soir, gendarmes, pompiers, responsables du barrage et habitants du village s'interrogeaient sur la sécurité du site, la préparation de cette visite et les conditions du lâcher d'eau par le barrage situé en amont.
La veille, en début d'après-midi, le groupe d'élèves, leur institutrice et une accompagnatrice spécialisée dans la connaissance de l'écosystème local arrivent à proximité du site. L'inspecteur d'académie a donné son aval pour cette «classe-nature», mais les responsables d'EDF relèvent qu'ils n'ont pas été prévenus de cette visite.
L'endroit est connu de tous les Grenoblois. Ici, le Drac, dompté et retenu par deux barrages en amont, paraît prendre ses aises en serpentant sur un lit de galets parsemé de bosquets et d'arbres accrochés à des buttes de pierres. L'été, les bras morts sont promus piscines naturelles ou réserves de pêche. Au mépris de panneaux jaunes dont l'avis se veut pourtant dissuasif: «Il est dangereux de s'aventurer dans le lit de ce cours d'eau et dans les îlots et graviers. Le débit de l'eau peut varier brutalement et à tout moment par suite du fonctionnement des centrales hydrauliques et des barrages.» Au village, les plus anciens se souviennent que la rivière doit son nom au patois local: «drac», issu de «dragon», désigne les cailloux qui font le lit de la rivière. Pour qui n'est pas d'ici et ne veut pas voir la signalisation d'alerte, le site paraît sans péril. Pourtant, à deux mètres au-dessus du lit du Drac, des branches entrelacées cimentées par une vase sablonneuse grise indiquent le niveau maximal de la rivière.
Il est 16 h 04 lundi quand le centre de traitement des appels de la sécurité civile est alerté. Peu avant, le chauffeur du car scolaire stationné sur la place du village de Saint-Georges-de-Commiers a vu arriver des gosses en larmes, trempés, couverts de boue. Certains n'ont plus de chaussures. Ils crient: «Vite, vite, venez. L'eau a tout emporté, ils se noient.»
A 16h 34, un premier hélicoptère où des plongeurs de la sécurité civile ont pris place parvient sur les lieux. Ils identifient douze personnes en difficulté. Cinq enfants et deux adultes ont réussi à se hisser les uns sur un îlot, les autres sur une butte dont le sommet est à cinquante centimètres du niveau de l'eau. Les plongeurs réussissent à les atteindre puis à les hélitreuiller. Deux enfants très mal en point reçoivent les premiers secours dans l'hélicoptère. Leur institutrice est en état de choc. En aval de cette butte, trois corps sont répérés inertes, accrochés à des branchages. Repêchés, ils sont épuisés. Depuis au moins quarante minutes, ces enfants submergés par le flot ont dû subir une température de 6 à 7$. La mise en place d'un «plan rouge» assure la coordination des sapeurs-pompiers et des gendarmes accourus sur place.
A la mairie du village, secours et soins sont immédiats pour les rescapés. Affolés, les parents alertés commencent à arriver. Quatre noms manquent à l'appel. Sur les berges, des sauveteurs retrouvent ici une paire de bottes, là deux anoraks, puis un bonnet. La nuit envahit le site. Les recherches se poursuivent malgré tout, jusqu'à 21 h 30. Hier, avant le lever du jour, 60 sapeurs-pompiers et 60 gendarmes mettent en place des postes de commandement mobiles à proximité du lieu du drame. Douze plongeurs fouillent le lit de la rivière.
«Ces berges sont tellement fréquentées en été que tout le monde oublie les barrages», explique Jacques Gasqui, maire de Saint-Georges-de-Commiers. Il sait que, depuis trente ans, le barrage de Monteynard qui turbine l'eau est associé au bassin de compensation de Notre-Dame-de-Commiers, une retenue de 33,6 millions de mètres cubes. Le froid poussant à la consommation d'électricité, la centrale hydraulique tournait à plein régime. Son bassin de compensation avait atteint son niveau maximal. De plus, les grèves affectant cinq centrales hydrauliques de la région expliqueraient, selon la direction d'EDF, un déficit de production qu'il fallait compenser. «Lundi à 14 h 30, précise Michel Magnier, directeur du groupement d'exploitation hydraulique Drac, nous avons procédé, selon les modalités habituelles, sur commande effectuée depuis le centre régional de régulation EDF de Lyon, à un premier lâchage d'une puissance de 25 mètres cubes à la seconde.» Cette mesure fait monter le niveau moyen de la rivière de 50 cm au maximum. Progressive par ses effets, cette élévation (inégale selon les sites) a pour conséquence de décupler la largeur de la rivière. Les écoliers arrivés par la rive droite devaient alors se trouver près de la rive gauche, dont la berge est inhospitalière. Ils ont, semble-t-il, été piégés en pleine retraite. Et sans doute submergés par la deuxième phase du «lâchage», d'une puissance de 50 m3. Ici même, en juillet dernier, deux amateurs de VTT ont failli se laisser prendre dans des circonstances identiques.
Hier, Corinne Lepage, ministre de l'environnement, s'est rendue sur place «pour comprendre ce qui s'est passé». Interrogée sur l'efficacité des règles de sécurité prévalant sur le site, elle a souligné: «Une réglementation est faite pour évoluer quand on constate qu'elle ne répond pas à la gestion de telles situations.» Une «gestion» que les enquêteurs ont commencé à évaluer en entendant les premiers témoins.