Auteur Sujet: 1791… et la gendarmerie nationale fut !  (Lu 7206 fois)

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1791… et la gendarmerie nationale fut !
« le: 12 novembre 2021, 11:47:25 »
Les gendarmes connaissent la date du 16 février, mais sans doute pas sa double signification. En effet, depuis 1993, le ministre de la Défense a fait de ce jour la commémoration annuelle et solennelle des « gendarmes victimes du devoir » au cours de l’année précédente, et, plus largement, des morts de la gendarmerie. Une cérémonie regroupe alors dans l’ensemble des départements toutes les formations de l’Arme pour honorer les hommes et femmes dont le service s’est accompli au prix de leur vie, faisant passer le sens du devoir avant tout. Mais si les gendarmes se souviennent ainsi avec tristesse de leurs camarades disparus savent-ils pourquoi ce jour d’hiver s’est imposé ?

La loi du 16 février 1791 constitue l’acte de naissance de la gendarmerie nationale en réorganisant alors une maréchaussée royale vieille de plusieurs siècles et en lui donnant donc un nouveau nom. Ce terme de « gendarmerie » n’est pas nouveau puisqu’il existe déjà sous l’Ancien Régime une « gendarmerie de France » dont les diverses unités de cavalerie sont attachées à la protection des membres de la famille du roi.
La loi du 16 février 1791 supprime la maréchaussée d’Ancien Régime et « réorganise ce corps sous le titre de gendarmerie nationale ». Les débats sur l’organisation de la force publique en 1790 aboutissent à son maintien et à son renforcement. Ne pouvant conserver le nom de maréchaussée, qui fait directement référence à l’Ancien Régime, on rebaptise cette formation en utilisant l’appellation d’une prestigieuse unité de cavalerie lourde, la gendarmerie.

Dès le XVe siècle, les termes de « gens d’armes » désignent les combattants non nobles et mercenaires qui constituent le gros des troupes féodales. On voit donc que ce terme de « gendarmerie » puise ses racines dans l’Ancien Régime. En revanche, l’épithète « nationale » lui donne une tonalité toute révolutionnaire puisque désormais l’Institution est au service de la nation et non plus du roi. Néanmoins, si aujourd’hui cet adjectif de « nationale » est associé à une dimension territoriale, lorsque la gendarmerie apparaît en 1791, l’épithète qualifie bien une institution émanant de la nation et à son service ; le sens du mot est avant tout politique et pas encore relié à un cadre administratif et spatial.

Il y a donc un lien étroit entre l’État, sa population et cette nouvelle institution de « force publique du dedans ». C’est ainsi la confirmation de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui, le 26 août 1789, justifiait la légitimité d’une « contribution commune », c’est-à-dire d’un impôt, par une nécessaire force publique à établir pour protéger ces nouveaux « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». On le voit, pour les révolutionnaires de 1789, police, politique et État sont indissociables. La force publique est bien conçue comme un outil essentiel de gouvernement pour le bien public.

La loi du 16 février est relativement courte. Les missions de la nouvelle gendarmerie sont sensiblement les mêmes que celles de l’ancienne maréchaussée. La distinction fondamentale réside dans la séparation des pouvoirs dont la nouvelle force de l’ordre est l’expression puisque, contrairement à maréchaussée, la gendarmerie n’a plus le pouvoir de juger – et éventuellement punir de façon expéditive, y compris par la peine capitale – les suspects arrêtés. La gendarmerie nationale, formée par des gendarmes à pied et d’autres à cheval, rassemble alors environ 7 500 hommes pour un territoire de 526 000 km2 (551000 km2 aujourd'hui) et une population d’environ vingt-neuf millions d’habitants.

Désormais des colonels dirigent les divisions, des lieutenant-colonels les départements, organisés en compagnies, elles-mêmes commandées par des capitaines. Le titre III de la loi spécifie dans son article 2 que « la gendarmerie continuera de faire partie de l’armée ». L’ordonnance de 1820 confirmera cette appartenance de la gendarmerie – devenue « impériale » puis « royale » entre-temps – à la société militaire. La seconde partie du titre VII, relative aux fonctions de la gendarmerie nationale, reprend pour partie les dispositions de l’ordonnance du 28 avril 1778. On voit donc que la rupture avec l’Ancien Régime n’est qu’apparente.

Si la justice prévôtale et les tribunaux d’exception sont supprimés en 1790, les missions de polices administrative et judiciaire sont confirmées par le texte du 16 février 1791. Cette loi rappelle les fonctions ordinaires de la gendarmerie et la nécessité d’effectuer des tournées dans tous les arrondissements, d’y recueillir des renseignements sur les crimes et les délits et de poursuivre les malfaiteurs. Ces missions reprennent les fondements posés par les édits de mars 1720 qui établissent, en particulier, des brigades au sein de compagnies plus étendues. Avant 1791, la maréchaussée connaît alors une révolution dont les caractères se prolongèrent avec la gendarmerie. En distribuant le personnel de chaque compagnie en brigades et en lui faisant accomplir un service de tournées régulières, la réglementation de 1720 induit une transformation fonctionnelle profonde par le remaniement des structures territoriales. Les tournées ne doivent plus être dirigées par des officiers mais par les chefs de brigade dans les paroisses de la circonscription.

En 1720, pour la maréchaussée comme en 1791 pour la gendarmerie, les tournées doivent prioritairement surveiller les voies de communication mais également les « grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, fêtes et cérémonies ». Dans le domaine de la police rurale, la gendarmerie est chargée de saisir les dévastateurs de bois et de récoltes et de réprimer la contrebande.

Sa mission consiste également à maintenir l’ordre public, à dissiper « les révoltes et attroupements séditieux » et à « repousser par la force les violences et les voies de fait qui seraient employées contre eux ». Enfin, dans le domaine des fonctions extraordinaires, il est précisé que les soldats de la loi sont tenus de prêter la main-forte qui leur est demandée par la voie des réquisitions. Mais « main-forte » à qui ? Eh bien, aux commissaires de police qui sont créés, ou plutôt recréés, en septembre 1791, mais qui sont notoirement dépourvus de personnel et cela encore pendant au moins un siècle, hormis Paris.

Dès lors, les bases de la force publique française contemporaine sont posées ainsi que les caractéristiques d’une collaboration structurelle entre police et gendarmerie, l’une et l’autre ne pouvant se passer de leurs atouts complémentaires. En effet, cette force publique comprend désormais une partie militaire, qui apporte ses effectifs et sa puissance de feu si nécessaire, et sa partie civile, garante par sa ceinture puis son écharpe tricolore de l’exercice du droit et du respect de la loi. L’adoption du premier code pénal en septembre-octobre 1791 parachève cet an I de la force publique française contemporaine, ouverte par la création de la gendarmerie nationale le 16 février.

Nouveauté :
Les gendarmes distingués pour leurs actes de bravoure, seront désormais honorés chaque 16 février à l'occasion des traditionnelles cérémonies d'hommage aux morts de la Gendarmerie.
Celles-ci seront rebaptisées "Hommage national aux héros de la Gendarmerie", a précisé à L'Essor la direction de l'Arme. Cette évolution sémantique, explique-t-on à la DGGN, est du au fait que la notion de "victimes du devoir" ne parle plus en interne. Les gendarmes refusent l'idée de victime "qui sous-entend souvent une forme de passivité ou d'accidentalité".
Les cérémonies du 16 février appelleront donc "autant à la mémoire qu'à l'engagement".  Le gendarme, souligne-t-on à la DGGN, "se distingue souvent dans l'humilité du quotidien par des petites choses qui révèlent vraiment son engagement".
Ainsi ajoute-t-on, la "vocation du héros n'est pas de mourir mais de réussir la mission confiée et d'en témoigner en restant vivant".


Sources :
Auteur : le commandant Laurent López (Service historique de la Défense) - publié le 18 février 2020
Source : https://www.gendinfo.fr/loisirs/histoire/1791-et-la-gendarmerie-nationale-fut

Auteur : le lieutenant-colonel Édouard Ebel, Service historique de la Défense - publié le 16 février 2022
https://www.gendinfo.fr/histoire/le-16-fevrier-1791-la-marechaussee-est-morte-vive-la-gendarmerie

Hors ligne Jeano 11

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Re : 1791… et la gendarmerie nationale fut !
« Réponse #1 le: 16 février 2022, 18:08:49 »
Le 16 février 1791 est une date importante pour la gendarmerie. Elle marque la naissance d’une institution moderne, s’adaptant au nouveau cadre du pouvoir.

La loi du 16 février 1791 supprime la maréchaussée d’Ancien Régime et « réorganise ce corps sous le titre de gendarmerie nationale ». Les débats sur l’organisation de la force publique en 1790 aboutissent à son maintien et à son renforcement. Ne pouvant conserver le nom de maréchaussée, qui fait directement référence à l’Ancien Régime, on rebaptise cette formation en utilisant l’appellation d’une prestigieuse unité de cavalerie lourde, la gendarmerie.

La loi, composée de sept titres, ne modifie pourtant pas sensiblement ses missions par rapport à celles de la maréchaussée. La gendarmerie nationale, formée par des gendarmes à pied et à cheval, rassemble alors 7 455 hommes. Désormais des colonels dirigent les divisions, des lieutenants-colonels les départements, qui sont organisés en compagnies commandées par des capitaines. Le titre III de la loi spécifie dans son article 2 que « la gendarmerie continuera de faire partie de l’armée ». Ce point fondamental ancre définitivement la gendarmerie au sein du monde militaire. La seconde partie du titre VII, relative aux fonctions de la gendarmerie nationale, reprend pour partie les dispositions de l’ordonnance du 28 avril 1778.

Si la justice prévôtale et les tribunaux d’exception sont supprimés en 1790, les missions de police administrative et judiciaire sont confirmées par le texte du 16 février 1791. Cette loi rappelle les fonctions ordinaires de la gendarmerie et la nécessité d’effectuer des tournées dans tous les arrondissements, d’y recueillir des renseignements sur les crimes et les délits et de poursuivre les malfaiteurs. Cette surveillance doit s’exercer sur les voies de communication mais également dans les « grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, fêtes et cérémonies ». Dans le domaine de la police rurale, la gendarmerie est chargée de saisir les dévastateurs de bois et de récoltes et de réprimer la contrebande. Sa mission consiste également à maintenir l’ordre public, à dissiper « les révoltes et attroupements séditieux » et à « repousser par la force les violences et les voies de fait qui seraient employées contre eux ». Enfin, dans le domaine des fonctions extraordinaires, il est précisé que les soldats de la loi sont tenus de prêter la main-forte qui leur est demandée par la voie des réquisitions.

En 1993, le ministre de la Défense a décidé, en souvenir de cette loi fondatrice, qu’un hommage solennel serait rendu tous les 16 février aux gendarmes victimes du devoir au cours de l’année précédente. À cette date, une cérémonie unique regroupe dans l’ensemble des départements toutes les formations de l’Arme pour commémorer ces hommes et femmes morts en service.

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Re : 1791… et la gendarmerie nationale fut !
« Réponse #2 le: 16 mars 2022, 20:21:24 »
UN PEU D’HISTOIRE

«C’est une grave erreur de croire que la gendarmerie nationale est née en 1791. Elle est née en 1720 ; elle s’appelait Maréchaussée ; elle était déjà « nationale » ». Par ces mots, le général historien Georges Philippot a souhaité souligner la portée historique de la réforme du secrétaire d’État à la Guerre Claude Le Blanc (1669-1728).
Avec l’extension à tout le royaume du maillage des brigades, cette institution est effectivement devenue la première force de sécurité à vocation nationale. Mais, 300 ans plus tard, quel héritage reste-t-il des textes qui ont façonné le modèle de la brigade de gendarmerie « à la française » ?
Un premier siècle de maturation du maillage territorial (1720-1815)
Si les réformes de 1720, 1769 et 1778 posent les bases du maillage territorial et du logement en caserne, la densification spatiale des brigades n’intervient qu’au cours des décennies suivantes.
À la veille de la Révolution française, les 880 brigades implantées en ville le long des axes de communication ne sont pas encore en capacité d’exercer une surveillance efficace sur tout le royaume.
C’est d’ailleurs ce que déplorent en 1789 certains cahiers de doléances, comme à Nantes, à Rouen, à Rodez ou à Bignac (Charente) où l’on se plaint de ne jamais voir les cavaliers
de la maréchaussée.
Le processus s’accélère sous la Révolution française. La loi fondatrice de la gendarmerie nationale du 16 février 1791 institue 15 brigades par départements, soit près de 1 300 unités, et celle du 29 avril 1792 prévoit d’agir « le plus promptement possible » afin d’atteindre 1 600 brigades. En 1798, la loi du 28 germinal an VI précise que l’Arme est destinée « à l’intérieur de la République (...) à la sûreté des campagnes et des grandes routes ».
Cette période, marquée par les périls intérieurs et les conquêtes extérieures, contribue à attribuer à la brigade une valeur plus tactique. Pour mieux contrôler les nouvelles conquêtes, un véritable réseau est implanté le long des voies de communication. En Belgique, avant d’installer 200 unités en 1796, le général Wirion dresse l’inventaire cartographique des routes à surveiller et des zones à patrouiller dans les nouveaux départements. En France, Bonaparte crée en 1800 un réseau dense de 200 brigades dans l’Ouest pour lutter contre la chouannerie.
Après l’avènement de l’Empire, Napoléon confie au général Radet le soin d’implanter des brigades dans les nouvelles conquêtes, notamment en Italie, en Allemagne et en Hollande. La valeur tactique des gendarmes pour contrôler le territoire a été résumée par l’empereur lui-mŒme : « 2 à 300 hommes de cavalerie de plus ou de moins ne sont rien. 200 gendarmes de plus assurent la tranquillité de l’armée et le bon ordre ».
En quelques années, le nombre des brigades triple pour atteindre 2 900 en 1810, avec un total de 18 503 hommes. « On ne fait, pour ainsi dire, point un pas sur le territoire de la République, sans rencontrer un gendarme », se félicite dès février 1804 le général Moncey, conscient de la valeur de ce réseau pour le renseignement. Un autre texte de l’époque considère que la gendarmerie doit être comme « un filet étendu sur la surface de l’Empire. »
Toutefois, ce résultat impressionnant relève plutôt du trompe-l’œil. Tout d’abord, il existe souvent un décalage entre les objectifs fixés et les réalisations concrètes, en raison des difficultés de financement, de recrutement ou même à trouver des bâtiments. De plus, les effectifs dans les brigades sont rarement au complet à cause des nombreuses ponctions liées à l’effort de guerre (prévôtés, unités combattantes). Enfin, les créations d’unités se diluent dans une France plus vaste qui atteint 130 départements au plus fort de l’extension impériale en 1810. À la chute de l’Empire, le nombre des brigades redescend à 2091, mais la nation a été ramenée à ses frontières de 1790.
Un deuxième siècle d’affirmation de la brigade polyvalente proche des Français 1815-1920)
Au début du XIXe siècle, la Seconde Restauration n’apparaît guère favorable à l’extension du maillage des brigades dont le nombre passe de 2 091 en 1816 à 2 261 en 1830. En revanche, la Monarchie de Juillet se montre plus attentive à surveiller l’Ouest et la vallée du Rhône où son pouvoir est contesté. D’autres régions apparaissent plus délaissées, comme le littoral de la Manche et le Sud-Ouest qui, hormis quelques pôles isolés, se prolonge sur un axe nord-est, préfigurant ainsi la « diagonale du vide ».
En 1834, le ministre de la Guerre Soult célèbre pourtant « cette force attachée au sol, mêlée aux habitudes des campagnes.

Source :  Revue de la Gendarmerie Nationale
https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/crgn/content/download/1365/document/REVUE_269_Brigades_territoriales.pdf?inLanguage=fre-FR&version=10