Depuis cinquante ans, les unités cynophiles de recherche de victimes d’avalanche sont mobilisées dans le cadre de missions de sauvetage en montagne, dont elles constituent un maillon central. La gendarmerie nationale compte vingt-et-une équipes cynophiles réparties au cœur des différents massifs montagneux du territoire, où elles interviennent au service de la population, en coordination avec les autres acteurs du secours en montagne. Du 18 au 22 décembre 2023, quatorze d’entre elles se sont donné rendez-vous à Tignes, une station de ski située dans le massif de la Vanoise, en Haute-Tarentaise, pour participer à un stage de perfectionnement.
Domaine skiable de Tignes. Une scène insolite se déroule sous les yeux des vacanciers qui, ce matin du 20 décembre 2023, ont pris place sur le télésiège de Chaudannes. En contrebas, sur la piste rouge du Bleuet, des skieurs évoluent en slalomant, tenant au cordeau un berger belge malinois dévalant à leurs côtés la pente enneigée. Spécialisés dans le secours à la personne en montagne, ces hommes sont également maîtres de chien d’avalanche. Ils appartiennent à l’une des vingt-et-une unités cynophiles de montagne que compte la gendarmerie nationale. Répartis sur les différents massifs montagneux du territoire, ces militaires sont affectés au sein des Pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM). « Nous nous retrouvons ici, à Tignes, du 18 au 22 décembre, pour participer à un stage de préparation hivernale des équipes cynophiles avalanche de la gendarmerie, dont je suis le référent national. Nous bénéficions d’une semaine complète sur site, entièrement dédiée à l’entraînement, et articulée autour d’un programme à la fois varié et ciblé, intégrant les besoins spécifiques de chacun », explique l’adjudant-chef Patrick L., affecté au PGHM de Bagnères-de-Luchon, dans les Pyrénées centrales, et coordinateur du dispositif.
Ce stage est une première. En 2015, la formation des équipes cynophiles de recherche de victimes d’avalanche de la gendarmerie a été confiée au Centre national d'entraînement à l'alpinisme et au ski (CNEAS) des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), basé à Chamonix-Mont-Blanc (74). Une formation ainsi rendue commune aux unités de la police et de la gendarmerie nationales. Chaque année, en janvier, une évaluation obligatoire visant la revalidation des compétences opérationnelles des équipes cynophiles de montagne est organisée par le CNEAS. Dans cette perspective, le projet d’un stage préparatoire destiné aux unités cynophiles de la gendarmerie nationale a été lancé par le chef d’escadron Sébastien Aubinière, à la tête de la cellule d’appui opérationnel / unité de coordination technique montagne. « L’objectif est de réunir l’ensemble des unités cynophiles de montagne en vue de leur préparation aux tests du CNEAS, mais aussi d’organiser un temps d’échanges et de partage en présentiel, exercices pratiques à l’appui, pour favoriser leur montée en compétences. Pour ces gendarmes, qui souvent travaillent seuls, l’apport d’un regard extérieur est fondamental, précise-t-il. Ce projet a été rendu possible grâce au soutien financier du Commandement des écoles de la gendarmerie nationale (CEGN), mais aussi par la mise à disposition, à titre gracieux, d’une parcelle du domaine skiable par la station de Tignes. Sans oublier l’implication des différents acteurs concourant à l’organisation et à l’encadrement de cette semaine. »
Un programme sur mesure
Malgré les températures glaciales qui règnent sur Tignes ce jour-là, l’ambiance au sein du groupe est chaleureuse. Tous partagent ce même sentiment d’appartenance à une grande famille. Cette semaine constitue donc un moment privilégié pour l’ensemble des participants. « C’est avant tout l’opportunité de nous réunir. Chacun travaille sur son massif. Certains sont particulièrement isolés, à l’instar de l’adjudant-chef Rémi C., maître de chien affecté au PGHM de Murat, dans le Cantal, exerçant seul sur l’ensemble des massifs auvergnats. Rares sont les occasions de nous retrouver. Quatorze des vingt-et-une équipes cynophiles de montagne sont présentes cette semaine. Ainsi, nous pouvons réaliser un travail qualitatif, multiplier et complexifier les mises en situation, mais aussi personnaliser les exercices suivant les problématiques rencontrées par chacun », observe le major de réserve Richard O. Ancien instructeur au Centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie (CNICG) de Gramat (Lot), le militaire dispose d’une expérience et d’une expertise hors du commun. Il intervient en coopération avec l’adjudant-chef Patrick L., en charge de l’encadrement pédagogique du stage. Tout au long de la semaine, il aura pour mission de coordonner les exercices, définir les scénarios, observer, puis débriefer avec les militaires, tant sur la dimension opérationnelle que sur les aptitudes de l’animal.
À travers diverses mises en situation, les équipes cynophiles devront détecter les victimes ensevelies sous la neige. Après avoir cartographié la zone, déterminé le sens du vent, et défini une stratégie de recherche, le maître dirige les opérations, guidant l’animal à distance, au son de la voix. Allié précieux, le vent aide le malinois à capter l’odeur humaine, l’orientant vers la victime enfouie sous le manteau neigeux. Cette dernière, à laquelle aucun son ne parvient, ne peut orienter les sauveteurs. Une fois la personne localisée, le chien s’immobilise, puis gratte la neige. La zone est alors sondée par le maître afin de confirmer la présence humaine. Équipé d’une pelle, le gendarme s’emploie ensuite à désensevelir la victime. Vient enfin la récompense pour l’animal, sous la forme d’un jouet en tissu. Car l’apprentissage est avant tout fondé sur le jeu. Parfois, le comportement du malinois laisse place au doute. Un fanion rouge est alors placé à l’endroit concerné. Autre difficulté : les odeurs humaines laissées par les pisteurs sur le lieu de l’avalanche peuvent également induire l’animal en erreur. Le périmètre de recherche sera ratissé dans son intégralité par le binôme. Au-delà d’une vingtaine de minutes, si l’exploration demeure infructueuse, des renforts seront éventuellement sollicités, selon l’avancement des opérations et l’état du malinois. En conditions réelles d’intervention, d’autres chiens de recherche - issus de différentes unités (CRS montagne, sapeurs-pompiers, ou pisteurs secouristes) -, peuvent être dépêchés sur les lieux, afin d’apporter leur concours. Tout au long de l’exercice, le maître de chien assure la conduite opérationnelle de la mission. Communication et coordination sont cruciales. Reliés aux autres secouristes par contact radio, les militaires sont également testés sur ce point. Ils doivent en effet rendre compte de l’avancée des opérations au chef de caravane, lequel coordonne le dispositif. Si les exercices sont communs à l’ensemble des équipes, la difficulté est adaptée au niveau d’expérience de chacun. Augmentation du périmètre de recherche, présence d’objets ou de personnes sur la zone, sont autant de paramètres susceptibles de complexifier la manœuvre. Également présente, une équipe cynophile des CRS montagne participe à certains exercices aux côtés des gendarmes. L’opportunité pour chacun de déployer ses capacités d’action, au contact d’autres unités. « Nous multiplions les exercices tout au long de la semaine. L’objectif est d’entraîner les équipes à toutes sortes de situations, en lien avec divers intervenants, de façon à travailler la coordination et l’adaptabilité, des points essentiels dans notre métier », rapporte le major de réserve Richard O.
Entièrement tourné vers la pratique, ce stage est aussi ponctué de rassemblements, qui se tiennent chaque soir au chalet militaire de Tignes, en présence de tous les participants. L’occasion pour les gendarmes de revenir sur les temps forts de la journée, de partager leurs ressentis et définir ensemble des axes d’amélioration.
Technicité, exigence et engagement
Chaque année, en France, une trentaine de personnes trouvent la mort dans une avalanche. Une tendance à la baisse depuis une décennie, qui résulte de la démocratisation des équipements spécialisés, tels que le Détecteur de victime d’avalanche (DVA) ou le réflecteur RECCO, dont sont porteurs la plupart des adeptes de ski hors piste. Bien que ces appareils modernes aient démontré leur efficacité, le chien demeure incontournable dans la recherche de victime d’avalanche. Les équipes cynophiles sont donc systématiquement primo-engagées, que ce soit pour une levée de doute ou pour une mission de secours.
En montagne, le facteur temps est primordial. Au-delà de vingt-cinq minutes, les chances de survie d’une victime ensevelie sont quasiment nulles. Asphyxie, noyade (provoquée par la poussière de neige), hypothermie, polytraumatismes… face à ces risques multiples, c’est une course contre la montre qui s’engage pour les équipes cynophiles de recherche, dès l’instant où l’alerte est donnée. C’est pourquoi la grande majorité des missions s’effectue en hélicoptère, lorsque les conditions le permettent. Dans le cas contraire, une caravane terrestre est organisée jusqu’au lieu de l’accident, allongeant sensiblement le délai d’intervention.
Engagés dans des missions de haute intensité, en milieu périlleux, les maîtres de chien ne peuvent exercer qu’au terme d’un cursus de formation extrêmement exigeant. Après une formation initiale au CNICG, d’une durée de quatorze semaines, permettant la validation des équipes cynophiles à la piste, les binômes rejoignent le Centre national d'entraînement à l’alpinisme et au ski (CNEAS), à Chamonix-Mont-Blanc (74), pour y effecteur un stage de trois semaines, axé sur les missions de secours. Les sous-officiers doivent également avoir réussi le cursus montagne (diplôme de qualification technique montagne) délivré par le Centre national d'instruction de ski et d'alpinisme de la gendarmerie (CNISAG), et avoir obtenu le Brevet de spécialiste montagne (BSM).
Une fois les équipes cynophiles opérationnelles, elles seront soumises, chaque année, à une évaluation technique conduite par le CNEAS, à Chamonix-Mont-Blanc.
Point essentiel, le maintien en condition opérationnelle repose sur un entraînement régulier. C’est en explorant de nouvelles situations de recherche que le binôme consolidera ses acquis et gagnera en performance.
Sélectionnés par le CNICG selon des critères précis, et dressés par les instructeurs du centre avant d’être attribués à leur maître, les chiens de recherche de victime d’avalanche possèdent un caractère joueur, obéissant, vif, courageux et sociable, outre une robustesse et une résistance physique remarquables. Des qualités dont sont dotés les bergers belges malinois, qui, peu à peu, se sont imposés en gendarmerie. Pour l’adjudant-chef Olivier D., affecté au PGHM de Pierrefitte-Nestalas, dans les Hautes-Pyrénées, l’adaptation de Nako, un chien aujourd’hui âgé de six ans, a nécessité temps et engagement. « Les chiens qui rejoignent les rangs de la gendarmerie proviennent d’horizons très divers. L’animal doit être appréhendé avec son vécu, aussi complexe soit-il. C’est un métier passion, où l’investissement personnel tient une place centrale. »
Lorsque la neige fond, l’activité des équipes cynophiles de montagne se recentre sur des missions de secours classique, toujours au service des montagnards et de la population. « Avalanche ou piste, l’activité est fonction du massif et de son niveau d’enneigement. Si la recherche de victime d’avalanche constitue le cœur de métier en Haute-Savoie, elle ne représente que 25 % des interventions dans le Massif Central », indique le major de réserve Richard O.
Après huit ans de bons et loyaux services, dans un environnement marqué par sa rudesse, vient pour les chiens d’avalanche le moment de la retraite. Le plus souvent, c’est auprès de leur maître, avec qui le lien est indéfectible, qu’ils passeront leurs dernières années.
Une pleine réussite
À l’heure du bilan, tous saluent l’organisation et la qualité du stage. « Tous les niveaux étaient représentés. Pour les jeunes maîtres de chien, s’entraîner auprès d’équipes plus expérimentées est très enrichissant, observe l’adjudant-chef Patrick L. Cette semaine nous a permis de travailler la coordination et d’approfondir les exercices, en y intégrant des particularités opérationnelles, telles que la médicalisation ou le secours aux personnes partiellement ensevelies, et celles en cours de dégagement. Des situations proches de la réalité, qu’il est important de montrer au chien, mais aussi au maître, qui ainsi s’exerce à la gestion de son animal. »
Dévier des schémas habituels, s’adapter aux conditions parfois changeantes (notamment météorologiques), se réorganiser en cours d’exercice et réorienter la recherche lorsque la situation l’impose, travailler en synergie avec d’autres intervenants, interagir avec le chien lorsqu’il est difficulté, analyser a posteriori son comportement et ses réactions, partager autour des pratiques et de l’expérience de chacun… tels étaient les objectifs du stage. Une pleine réussite, de l’avis de tous.
L’équipe encadrante, quant à elle, a tenu à souligner le travail et l’implication des équipes cynophiles, aussi bien durant le stage que dans l’exercice quotidien de leurs missions. Si la technicité est au cœur du métier, c’est avec la même passion que tous l’accomplissent.
Enfin, pour Jacques Villalba, directeur de la régie des pistes de la station de Tignes, la mise à disposition de moyens s’est imposée comme une évidence. « Des actions de secours et d’évacuation sont régulièrement menées en coopération avec les secouristes du PGHM. La coordination entre militaires et pisteurs secouristes est donc primordiale. C’est pourquoi nous avons répondu présents. Les maîtres de chien de la station ont pu participer à certains exercices organisés par les gendarmes, et ainsi confronter leurs approches. Pour l’ensemble des professionnels du sauvetage en montagne, le maintien de la compétence est un enjeu crucial. »
Source
https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/sur-le-terrain/immersion/2024/les-unites-cynophiles-de-montagne-de-la-gendarmerie-reunies-a-tignes-pour-un-stage-avalanche