La mouche du gendarme !
Au-delà des 72h après la mort, la médecine légale n’est plus vraiment capable de donner des informations précises et fiables sur l’heure du décès. C’est là que le département d’entomologie de l’Institut de recherche de la Gendarmerie nationale (IRCGN) entre en scène.
Les diptères nécrophages, plus souvent connus sous le nom de mouches à merde, sont des alliés dans les enquêtes criminelles.
Reportage à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, près de Paris, où des mouches récupérées sur des cadavres servent à dater la mort d’une victime.
Elles sont collantes, parfois bruyantes, et vous les trouvez répugnantes, au point de les appeler mouche à merde. Mais certains gendarmes s’en font des alliées.
C’est le cas à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), à Cergy, près de Paris, et plus précisément au département FFF, pour faune et flore forensiques, les techniques scientifiques au service de la justice : comment des plantes ou des animaux peuvent aider les enquêteurs à résoudre les crimes.
Il y a par exemple la palynologie légale, l’étude des grains de pollen retrouvés dans les voies respiratoires d’un cadavre, pour dater la mort d’une victime, puisque les plantes ne libèrent des pollens qu’à une certaine époque. Et il y a donc également l’entomologie légale, quand des insectes, des diptères nécrophages, permettent aussi d’éclairer le travail des enquêteurs.
Des sacrés voraces, ces diptères nécrophages, qui se nourrissent ainsi de cadavres. « On avait pris un porc de 25 kilos, en forêt de Fontainebleau, au sud de Paris, et de mémoire, en 13 jours, la carcasse était totalement nettoyée », raconte le capitaine Hubert Joulin, le chef du département FFF de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale.
Dans les plaies ou les orifices naturels
Ces insectes détritivores, dans une enquête criminelle, vont être prélevés sur un cadavre et sur la scène de crime, en particulier les larves qu’ils ont pondues dans la chair en putréfaction. « Certaines espèces sont attirées par le corps dès le décès, s’il y a des plaies ou même dans les orifices naturels. Toute cette faune va se développer et l’important pour nous est d’avoir un prélèvement le plus représentatif de la scène de crime, dans l’espoir de retrouver l’individu le plus ancien. » Ce qui permettra de remonter dans le temps, et d’approcher au plus près la date de la présence du cadavre.
Les scellés, qui contiennent des larves et de la terre prélevée autour du cadavre, arrivent à l’IRCGN à Cergy, où peut commencer l’identification des espèces prélevées, dans des locaux austères, des pièces aveugles sans la lumière du jour – on est loin du clinquant des séries américaines types Les Experts… « Les espèces vivantes vont être mises en élevage, dans des incubateurs. » Des espèces de grands frigos, où la température est régulée et contrôlée, et où sont entreposés des plateaux.
Élevage sur un steak
« On peut voir un lit de sable, de la viande de bœuf. Non, il ne faut pas croire que c’est issu du corps d’une victime, on a seulement des insectes qui nous arrivent ! Sur le morceau de viande, vous pouvez voir des larves qui vont et viennent », décrit encore Hubert Joulin. C’est cette viande dont se nourrissent les larves pour grandir. « Au bout d’un moment, elles vont former une pupe, l’équivalent de la chrysalide des papillons pour les diptères. Et au bout d’un moment, un adulte va en sortir. »
Ce qui permettra d’identifier l’espèce retrouvée sur le cadavre, et donc, en fonction des relevés de températures et de l’environnement de la scène de crime, de dater précisément le jour de la ponte, pour dire : le cadavre était déjà là à telle date. Et bien souvent, les enquêteurs font mouche.
«Les mouches à merde aiment vraiment ça ?»
Ah oui, elles aiment bien les cadavres, les excréments, toutes les matières en décomposition, parce qu'elles sont riches en nutriments.
Pour s’en nourrir, la mouche laisse un peu de salive sur le caca, avant d’aspirer tout ça. Les mouches adultes y pondent aussi leurs œufs, bien au chaud, et bien nourris, le garde-manger à domicile. C'est un peu la loi de Lavoisier adaptée à la scatophagie ou la nécrophagie : rien ne se perd, tout se transforme. Et elles font même le ménage ! Rassurez-vous, ces mouches-là n'ont pas qu'une vie d'excréments : elles aiment, aussi, butiner les fleurs.
L'expertise de ce laboratoire d'entomologie légale est reconnue dans le monde entier. Les polices étrangères le consultent. Y compris le FBI !
La romancière écossaise Val McDermid a récemment demandé conseil à l'équipe française afin de vérifier la véracité de l'intrigue policière de l'un de ses derniers thrillers.
Mais les principaux « clients » du centre restent les magistrats qui confient aux biologistes du département « Faune Flore Forensiques » le soin de déterminer la date d'un décès et sa cause. C'est aussi, parfois, à ses biologistes que revient la responsabilité de désigner les suspects lorsque les faits se révèlent d'origine criminelle. En moyenne, une demi-douzaine de cadavres humains sont découverts chaque jour dans notre pays. Si la grande majorité de ces décès sont d'origine naturelle ou accidentelle, il arrive cependant que certains ne le soient pas. C'est alors qu'entrent en scène les 160 enquêteurs de l'IRCGN, au premier chef desquels la cellule 3F.
Mouches vertes et képis bleus
« Voici quelques-uns de mes enquêteurs », sourit Laurent Dourel en désignant une petite vitrine où sont épinglés des insectes de différentes espèces. Le chef d'escadron nous emmène dans une autre pièce, où il nous montre des mouches, vivantes celles-là, dans des boîtes Tupperware, maintenues à température constante (24 °C). « Passé un délai de 72 heures, la médecine légale n'est plus en mesure de dater le moment d'un décès, nous passons alors le relais à ces petits animaux », confie le quadragénaire.
La technique a été mise au point à la fin du XIXe siècle. En 1894, Jean-Pierre Mégnin publie une classification des insectes nécrophages. Cet ancien vétérinaire a remarqué que plusieurs espèces se succèdent sur les cadavres, en huit vagues successives. Ces « escouades de la mort » comptent principalement des diptères (des mouches) mais aussi des coléoptères et même des lépidoptères, en d'autres termes, des papillons. Mégnin pense judicieux d'utiliser cette succession d'insectes pour déterminer la chronologie d'un décès. Il a raison. La technique s'avère très fiable. « On peut dater à un ou deux jours près le moment où est intervenu un décès, et ce jusqu'à huit mois après la mort ».
L'observation du pédigree des insectes est, depuis lors, devenue une priorité des enquêteurs (au même titre que le relevé des empreintes digitales et des traces ADN) lors de la découverte d'un corps. Dès l'instant du décès, les mouches communes, grises ou noires, affluent et colonisent la dépouille. Elles laissent la place à leurs cousines aux dos bleus ou verts, attirées par l'odeur émise par la putréfaction des chairs. Une troisième espèce débarque lorsque les graisses du corps se mettent à fermenter. Puis une quatrième, au moment de la dégradation des protéines contenues dans les muscles. Une cinquième escouade est irrépressiblement attirée par l'odeur d'ammoniaque qui se dégage alors. Une autre espèce pointe le bout du nez quand le stade de décomposition est plus avancé. Les deux dernières, ressemblant à des fourmis déguisées en scarabées, achèvent de nettoyer le corps, jusqu'à ce qu'il ne reste pratiquement plus rien sur le squelette.
Évidemment, certaines espèces peuvent se croiser, voire se mélanger. Les enquêteurs font alors décanter les choses. « Nous prélevons le sol sous le corps. En général les insectes pondent là des œufs qui se développent en se nourrissant des éléments organiques présents sur place. Nous attendons, pendant deux à trois jours, l'éclosion des pupes (les larves des mouches) et observons l'espèce qui en sort. En fonction de quoi, nous disposons d'éléments de datation très précis ».
Des insectes mais aussi des... micro-algues
Ces explications, un brin glaçantes, le gendarme au look de Kojak (visage affable, crâne dégarni) les délivre sans ciller. Depuis six ans que ce chef d'escadron travaille ici, Laurent Dourel le reconnaît lui-même « (s)on rapport à la mort a évolué ». Il confie s'être blindé intérieurement. À ses yeux, « le plus dur n'est cependant pas la scène de crime, mais plutôt la découverte d'une petite mamie décédée chez elle, oubliée de tous. Et bien sûr les catastrophes impliquant un grand nombre de tués », poursuit-il. Le scientifique a travaillé à la fois sur l'identification des victimes françaises du tsunami de 2004, dans le Sud-Est asiatique et sur le crash aérien du vol 9525 de la Germanwings en mars 2015. « Des expériences dures qui ont laissé des traces », évacue pudiquement l'intéressé.
Le travail des biologistes du département « Faune Flore Forensiques » ne se réduit pas à la culture des mouches. « Nous nous intéressons à tous les bio-indicateurs susceptibles de nous apporter des informations sur les conditions d'un décès », poursuit l'officier de gendarmerie. Ansi en va-t-il des diatomées, des micro-algues dont la présence dans les tissus (les poumons, mais aussi le foie) permet de déterminer si un individu est mort par noyade. « Pour le moment, cette technique, mise au point aux États-Unis pendant la dernière guerre, n'est valable que pour les décès intervenus dans l'eau douce. Mais nous développons aujourd'hui une variante qui pourrait s'appliquer à la détection de noyades en mer », complète le major Jean-Bernard Myskowiak. Certains meurtriers qui jettent leur victime à l'eau en espérant faire croire à une mort accidentelle pourraient ainsi être confondus.
Dans le même esprit, Laurent Dourel s'intéresse aussi aux pollens. « Ils peuvent souvent jouer le rôle de marqueur pour nous aider à localiser l'endroit où est survenu le décès. Ou encore les lieux où le suspect est passé », poursuit-il. Cette technique d'enquête développée depuis 1959 permet de déterminer si un corps a été déplacé.
D'autres micro-organismes pourraient être mobilisés sous peu. « Nous nous intéressons aux microbes intestinaux et aux bactéries avec, chaque fois, la même idée : déterminer en quoi ces bio-marqueurs peuvent être utiles à nos enquêteurs », confie Laurent Dourel. Après avoir conduit de nombreux travaux sur la génétique humaine aux fins d'identification, les chercheurs du département 3F de l'IRCGN misent désormais beaucoup sur l'exploitation de l'ADN non humain. « Qu'elle soit d'origine végétale ou animale, une trace génétique retrouvée sur un corps ouvre des perspectives infinies pour les enquêteurs », affirme le commandant Dourel. Un jour viendra peut-être où chats, chiens et même ficus deviendront des « témoins judiciaires » !
Sources :
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/c-est-dans-ta-nature/20220115-la-mouche-du-gendarme?fbclid=IwAR0F9qN3cbM87ug0-Qce5gKIilk--6INB0L2jhQB514wE2c_TLBRUe1meM8&ref=twhttps://www.lepoint.fr/high-tech-internet/des-mouches-au-service-de-la-gendarmerie-26-07-2019-2326950_47.php