Médecine Légale – Constatation de la mort
Tout décès doit être certifié par un médecin. Celui-ci doit rédiger un certificat de décès après avoir constaté la présence de signes négatifs de la vie et de signes positifs de la mort. Quels sont donc ces signes annonciateurs de la mort ?
Historique :
Juste avant la Révolution Française, à la fin du XVIIIe Siècle, l’employé des pompes funèbres chargé de la mise en bière du cadavre (appelé communément croque-mort) était considéré comme une personne lugubre et sinistre qui devait mordre le gros orteil d’un défunt pour constater la mort. Certains étaient même plus cruel et devaient enfoncer une aiguille sous l’ongle du cadavre pour s’assurer de l’absence de réaction.
Jusqu’au XXe siècle, les médecins n’avaient à leur disposition qu’une plume et un miroir à placer devant la bouche du supposé défunt pour vérifier si le cadavre respirait toujours quand le pouls semblait s’être arrêté.
La généralisation de la technique de l’électrocardiographie au XXe siècle a mis fin à des siècles d’incertitude qui ont malheureusement coûté la vie à des milliers de pauvres gens, en particulier lors des grandes épidémies de peste (Marseille en 1720) et de choléra (1863-1876 en Europe du Nord), où de nombreux malades tombés dans le coma ont été pris pour morts et enterrés rapidement par crainte de nouvelles contagions.
Aujourd’hui, la plupart des services d’urgence des hôpitaux situés dans les pays développés sont équipés d’électrocardiographes permettant de visualiser et de mesurer le rythme cardiaque afin de déterminer de manière fiable si une personne est bien décédée.
Les signes négatifs de la vie :
La mort se définit par la présence simultanée de trois critères cliniques :
La perte de réflexes, du tonus musculaire, et l’absence de réaction à la lumière des pupilles (mydriase bilatérale). Il n’y a donc aucune régression du diamètre de la pupille sous l’influence de la lumière en cas de décès.
Absence totale d’état de conscience et de sensibilité (mesuré en provoquant une douleur et évaluer sous l’échelle de Glasgow)
Arrêt cardio-respiratoire (absence de pouls, de respiration et de tension artérielle).
ATTENTION ! : Il n’est pas rare de lire dans certains articles, notamment dans la presse, qu’une personne pourrait être décédée suite à un arrêt cardio-respiratoire (ACR). Cela n’a pas réellement de sens puisqu’une personne déclarée morte est en toute logique une personne ayant subi un arrêt cardio-respiratoire. Cependant l’arrêt cardio-respiratoire n’est pas forcément un arrêt cardiaque suivi d’un arrêt respiratoire, il peut également être dû à un arrêt respiratoire suivi d’un arrêt cardiaque (il est très souvent possible de déterminer lequel des deux est apparu en premier lors d’un examen autopsique).
Cas particulier : Etat de Mort Encéphalique (EME)
Chez les patients ventilés de façon mécanique et présentant des lésions cérébrales irréversibles, le décès ne sera attesté qu’en présence des trois critères cliniques suivants :
Absence totale d’activité motrice spontanée et d’état de conscience
Abolition de tous les reflexes du tronc cérébral
Absence de ventilation spontanée (sans assistance)
Généralement chez les patients en état de mort clinique, l’absence de ventilation spontanée se vérifie par une épreuve d’hypercapnie depuis le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996.
Art. R.671-7-2. – « Si la personne, dont le décès est constaté cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique, l’absence de ventilation spontanée est vérifiée par une épreuve d’hypercapnie ».
En effet, la disparition définitive de la respiration spontanée constitue la conséquence directe de la mort encéphalique car la respiration est commandée par le système nerveux central.
Le test d’hypercapnie :
Avant de commencer le test, il faut s’assurer dans un premier temps de l’absence de toute sédation et/ou de curarisation (absence de traitement visant à diminuer le tonus musculaire du patient). Il s’agit de vérifier également l’absence d’hypothermie (la température centrale ne devant pas descendre en deçà 35C°). Enfin, il convient de contrôler l’absence d’hypotension artérielle (Pression artérielle moyenne (PAM) doit être inférieure à 50mm Hg).
Une fois ce test effectuée les médecins doivent déclarer l’état de mort clinique cérébral par des examens complémentaires permettant de confirmer l’irréversibilité de la destruction encéphalique. Pour cela, on effectue soit deux électro-encéphalogrammes à 4 heures d’intervalle (qui doivent être nuls et aréactifs), soit une angiographie cérébrale prouvant l’absence d’irrigation du cerveau.
Signes positifs de la mort :
Les signes positifs de la mort, appelés également signes thanatologiques sont utilisés en médecine légale pour estimer la date de la mort.
Refroidissement cadavérique
Rigidité cadavérique
Lividité cadavérique
Déshydratation du corps
Putréfaction
Entomologie légale
Refroidissement cadavérique
La température du corps doit être considérée comme l’un des meilleurs indicateurs du délai post-mortem uniquement pendant les 24 premières heures suivant la mort.
Un corps humain se trouve en règle générale à une température de 37,2C°. Après la mort, la température corporelle diminue progressivement jusqu’à atteindre la température ambiante. En règle générale et suivant les conditions environnementales. En effet, de nombreux facteurs jouent un rôle important dans le refroidissement du corps après la mort. Voici quelques exemples :
La température extérieure (ex. un appartement sous les toits en plein été ou dans une forêt en plein hiver)
La température du corps au moment de la mort (Ex. Une personne en hyperthermie au moment du décès aura un refroidissement lent alors qu’une personne en hypothermie aura un refroidissement rapide)
Le rapport poids/surface du corps (Ex. Un individu de 60 kilos et un autre de 140 kilos. Le refroidissement de corps est d’autant plus lent que le poids de l’individu est élevé)
La taille de l’individu (Ex. Un enfant ou un adolescent aura une décroissance thermique plus rapide qu’un adulte)
La protection du corps (Ex. Un individu nu ou un individu couvert par des vêtements chauds. Les vêtements jouent le rôle d’isolant thermique et le refroidissement du corps sera d’autant plus retardé que leur épaisseur sera importante)
Environnement immédiat (Ex. Pluie, neige, chauffage, climatisation, mouvement d’air, humidité etc.)
Température rectale après la mort
Température rectale après la mort
Il est plus ou moins admis que la température du corps chute en moyenne d’un degré par heure. En réalité, la baisse de température s’effectue en 3 phases :
Une première phase dite de plateau thermique initial : Cette phase peut durer de 30 min à 3h. Durant cette période, la température décroît très peu. C’est pourquoi la technique de décroissance thermique de 1°C par heure se révèle inopérante pour dater un décès récent remontant à moins de trois heures.
Une deuxième phase dite intermédiaire de décroissance rapide : Durant cette phase, la méthode thermométrique de -1C°/heure s’avère pertinente.
Une dernière phase dite de décroissance lente : Il s’agit de la phase où la température du corps peu à peu rejoint celle de la température ambiante.
Le Docteur Clauss HENSSGE, professeur de médecine légale à l’Université de ESSEN en Allemagne, a cherché a modéliser la décroissance de la température d’un cadavre en fonction du temps et a pu obtenir une fonction bi-exponentielle. Henssge a donc créé un système permettant de déterminer, en fonction de la température du corps, de la température ambiante et de la masse de l’individu, l’intervalle post-mortem probable. Il s’agit du nomogramme de HENSSGE.
Cas pratique :
Un homme de 80 kilos
Température rectale lors de la découverte de la victime : 28 C°
Température de l’air ambiant : 11 C°
Nomogramme de Henssge
Nomogramme de Henssge
La méthode :
Tracer une ligne droite (bleue) entre la température rectale de 28C° (à gauche) et la température ambiante de 11C° (à droite)
Ce trait coupe la droite diagonale en noir en un point
Tracer une seconde droite (rouge) en partant de la cible en bas à gauche et en passant par l’intersection des deux précédentes droites.
Au niveau de l’intersection de l’arc de cercle correspondant à une masse de 80 kilos et de la ligne rouge on se trouve à un intervalle post-mortem de 11,5h.
Sur l’arc le plus extérieur, on lit un intervalle de confiance à 95% de +/- 2,8 heures
Cela signifie qu’un corps nu de 80kg dans un air calme de 11C° dont la température interne est de 28C° serait mort entre 8,7h et 14,3h plus tôt, soit entre 8h42 et 14h18 avant sa découverte.
Cependant, la modélisation ci-dessus ne prend pas compte les facteurs modificateurs qui peuvent entrer en jeu, comme la présence de vêtements, de vent, d’une immersion de la victime etc. Ces éléments modificateurs peuvent accélérer le refroidissement du corps ou au contraire le ralentir. Par précaution, il est donc nécessaire de faire intervenir des facteurs correctifs. L ‘estimation mesurée grâce au nomogramme de Henssge doit alors être multipliée par le facteur correctif approprié. Si ce dernier est inférieur à 1, cela signifie que le corps se refroidira plus vite, alors que s’il est supérieur à 1 le corps se refroidira plus lentement.
Exemple de facteurs correctifs :
Pour un corps nu immergé dans une eau en mouvement : 0,35
Pour un corps nu immergé dans une eau stagnante : 0,5
Pour un corps immergé avec 2 couches de vêtements : 0,90
Pour un corps nu : 1
Pour un corps avec 2 couches de vêtements : 1,20
Pour un corps nu sous une couette : 1,80
Pour un corps avec 3 couches de vêtements et sous une couette : 2
Application au cas :
Imaginons que l’on découvre un corps de 80 kilos, habillé modérément (2 couches de vêtements) dans un lac. La température de l’eau est de 11°C et la température rectale de la victime est de 28°C. Sur le nomogramme, on lit 11,5 heures pour l’estimation post-mortem. Mais le corps ayant été retrouvé dans l’eau stagnante, un facteur correctif doit être appliqué (0,9 en l’occurrence). On obtient donc 11,5 x 0.9 = 10,35 heures. A cela on ajoute l’intervalle de confiance de plus ou moins 2,8h. La victime serait donc morte environ entre 7,55 h et 13.15h plus tôt, soit entre 7h33 et 13h09 avant sa découverte.
Le certificat de décès :
Depuis le 1er janvier 1998, il existe deux modèles de certificats de décès. Le premier est un certificat de couleur verte concernant les nouveaux nés avant le 28e jour de vie. Le second est de couleur bleu et concerne tous les autres cas. Quel que soit le type de certificat, celui-ci doit impérativement être rempli et signé par un médecin.
Le certificat de décès comporte un volet administratif et un volet médical.
Le volet administratif :
Il est destiné à l’officier d’état civil. Ce volet comporte, le nom, prénom, date de naissance, adresse du domicile, la date et la commune de décès du défunt. A travers ce certificat, le médecin atteste que la mort est réelle et constante. Il notifie la date et heure du décès ou, à défaut, la date de constatation du décès. Le médecin doit également se prononcer sur les éléments suivants :
Obstacle médico-légal
Il s’agit là d’un obstacle à l’inhumation. L’obstacle médico-légal est justifié lorsque la mort est considérée comme étant suspecte, c’est-à-dire lorsqu’elle ne semble pas être d’origine naturelle ou dès lors que la responsabilité d’un tiers pourrait être engagée (homicide, accident domestique, suicide, décès en milieu carcéral, mort subite de l’enfant ou nourrisson).
L’obstacle médico-légal intervient également quand la personne ne peut être identifiée formellement (absence de documents d’identités, famille non présente sur les lieux, corps carbonisé ou en état de putréfaction avancé).
A partir du moment où un obstacle médico-légal est déclaré, la réalisation de certaines opérations funéraires est stoppée tant qu’une autorisation n’est pas délivrée par l’autorité judiciaire (procès-verbal aux fins d’inhumation).
Mise en bière immédiate en cercueil normal ou hermétique
Sur prescription du médecin, il arrive que la présence de certaines maladies contagieuses, un mauvais état général du corps ou tout état septique grave entraine une mise en bière immédiate en cercueil simple ou hermétique selon le degré de contagion du corps (variole, choléra, peste, fièvre hémorragique, maladie du charbon ou anthrax etc.)
Obstacle au don du corps
L’obstacle au don du corps ne concerne pas le don d’organes mais le don de son corps à la médecine. Ce don est interdit en cas de maladie contagieuse ou d’obstacle médico-légal.
Prélèvements en vue de connaître les causes de la mort
Ces prélèvements concernent les prélèvements post-mortem (phanères, toxicologie etc.) et l’autopsie médico-légale à la demande du médecin qui constate le décès ou bien à la demande du préfet. Ces prélèvements sont interdits en cas d’obstacle médico-légal.
Présence d’une pile avec radioéléments
Le médecin doit indiquer si la victime est porteuse ou non d’une prothèse fonctionnant au moyen d’une pile avec radioélément (un stimulateur cardiaque par exemple). Ce genre d’appareil doit impérativement être retiré avant l’inhumation du corps, soit par un médecin soit par un thanatopracteur.
Le volet médical :
Ce volet est totalement anonyme et confidentiel. C’est pourquoi celui-ci doit être fermé immédiatement par le médecin une fois rempli.
Sur ce volet, sont indiqués :
La cause immédiate du décès ou l’enchainement de plusieurs causes
La présence ou non d’un état pathologique ayant pu entraîner le décès (cancer, problèmes cardiaques etc.)
Le lieu de décès
Une fois le certificat de décès rempli par le médecin, celui-ci remet l’enveloppe à la famille puis à l’officier d’état civil (le maire) qui délivrera le permis d’inhumer. Dans le cas contraire, si le médecin fait état d’un obstacle médico-légal, il est impératif d’aviser les autorités judiciaires compétentes qui décideront des investigations complémentaires éventuelles à mener avant de délivrer un permis d’inhumation.
Source
https://www.police-scientifique.com/medecine-legale/constatation-de-la-mort/